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« Du bon usage du numérique », un sujet d’adultes désemparés
Article mis en ligne le 7 novembre 2018

Je n’en suis pas encore revenu. Je sais bien qu’il n’est pas très correct de commencer à rédiger un billet de blogue en commençant à la première personne du singulier mais, là, j’avoue ma stupéfaction et ma sidération. Il fallait que je vous le dise.

Il n’est pas question pour moi, je préfère vous prévenir, de critiquer le dispositif en référence, dit « Parlement des enfants » qui consiste à offrir à des élèves de CM2 la possibilité de se frotter à la représentation nationale et à la fabrique des lois. C’est un exercice particulièrement intéressant et je soutiendrai toujours les démarches qui ont pour objectif la responsabilisation des jeunes citoyens et l’exercice de leurs droits et devoirs. En revanche, je ne suis pas certain que l’Assemblée nationale, compte tenu de la faible qualité des débats qui s’y déroulent, que ce soit en commission ou dans l’hémicycle, soit toujours si exemplaire que cela — se référer par exemple au billet récent qui rapporte un florilège déraisonnable quoique désopilant des débats du Parlement préparatoires au vote sur l’« interdiction » du téléphone portable à l’école et au collège. Je crois pourtant que des grands élèves du premier degré sont capables de prendre la distance nécessaire. Espérons-le.

À ces jeunes, il est proposé de faire « comme si » on débattait d’un projet de loi qu’ils proposent sur un sujet qui leur est imposé.

Du bon usage du numérique
Commençons par la fin. Le numérique… Sous cette forme substantive, voici un mot dont le sens, encore incertain, est sujet à polémique. Dans un billet récent, j’ai tenté d’expliquer, en prenant l’attache de la parole et des écrits de nombreux chercheurs et observateurs du domaine, le sens nouveau qu’avait pris ce mot, fait global et total, paradigme tout à la fois social voire sociétal et culturel, loin du sens que continuent à lui donner encore de nombreux scientifiques, à tort à mon avis, celui originel de quasi synonyme d’informatique. La controverse est en cours.

Si certains cadres des directions départementales ou enseignants sont capables d’expliquer cela, tant mieux pour eux et tant mieux aussi pour les élèves qui sont les premiers concernés. Mais je doute très fort qu’ils soient si nombreux que cela.

Par ailleurs, si on donne à « numérique » le sens commun de paysage de ce nouveau siècle, il ne sera évidemment pas compris d’un élève de 10 ans. Pour elle ou lui, le numérique, ça n’existe pas. Tout est numérique dans sa vie, à tel point qu’il n’y prête plus attention. Elle ou lui ne savent pas ce qui est numérique et ce qui ne l’est pas, à supposer que quelque chose encore aujourd’hui ne soit pas soumis à son omniprésence.

Il s’agirait donc de faire bon usage de ce numérique dont on ne sait trop ce qu’il veut dire. Le mot « usage » est apparu dans le vocabulaire commun de l’éducation à la remorque du travail des sociologues. Il n’est pas un cadre administratif ou pédagogique des circonscriptions aux rectorats, en passant par les directions académiques et les lycées, qui ne se gargarise aujourd’hui, à tout propos, de la progression heureuse des « usages du numérique » (sic). Dans les séminaires, les colloques, les réunions de cadres, le mot est « usé » ad nauseam par les conférenciers, sur les tables rondes, partout.

Mettez ensemble un professeur, un chef d’établissement et un responsable de collectivité à parler des « usages du numérique » (resic), ils seront capables d’en discourir pendant des heures sans qu’à aucun moment chacun parle de la même chose. Il n’y a pas mot plus polysémique et donc vide.

Quand on n’a rien à dire sur le numérique, il suffit de parler de son usage, de ses usages. Comme personne ne sait de quoi l’on parle… (...)

Un sujet d’adultes débranchés et paniqués
Donc non, « Du bon usage du numérique », cela ne veut pas dire grand chose et c’est totalement abscons pour un enfant de 10 ans.

L’idée que les jeunes, les élèves sont tous irresponsables, ou presque, et incapables de pratiques en ligne mesurées, raisonnables et responsables, est une idée qui court les salons et les alcôves des cercles du pouvoir ou des aréopages politiques, médiatiques parfois, intellectuels toujours, éducatifs le plus souvent. Cette attitude est stupéfiante d’ignorance de ce que sont les jeunes, de ce qu’ils vivent, du monde qui les entoure, des liens sociaux qu’ils tissent. Cette ignorance est aussi secondairement la cause d’un profond mépris et d’une défiance constante à leur encontre. On généralise de manière abusive sur des comportements et des attitudes à partir de cas ou d’exemples montés en épingle — on trouvera sans peine dans l’actualité récente des exemples éloquents.

Ah, la responsabilité ! Ah, la raison ! (...)

Se référer, pour prendre conscience de cette panique à la récente loi d’« interdiction » du téléphone mobile à l’école et au collège ainsi que, et surtout, aux débats parlementaires qui ont précédé le vote de cette loi.

Le sujet qui est proposé aujourd’hui aux élèves de CM2 est du même ordre et témoigne du désarroi complet d’adultes débranchés. Incapables d’accompagner des pratiques perturbantes, ils s’avèrent également incapables de les réguler autrement que par la censure et l’interdit et proposent donc aux élèves, dans un vocabulaire qu’ils sont incapables de comprendre, de légiférer à leur place. Oui.

En 2008, déjà, David Assouline, dans un rapport parlementaire, s’interrogeait : « Les nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ? ». Dix ans après, nous connaissons la réponse et si les adultes, parents et enseignants disent être toujours mobilisés, les faits sont têtus et ça ressemble pourtant bel et bien à de l’abandon.