
Longtemps ignoré des institutions alors qu’il est inscrit dans la loi, le droit d’exposition, qui rémunère les artistes lorsque leurs œuvres sont montrées, pourrait enfin s’appliquer plus largement. La fin d’une injustice, qui ne met toutefois pas fin à la précarité qui touche une large partie d’entre eux.
C’est un serpent de mer qui rythme l’ouverture des festivals de photo ou la tenue des biennales d’art contemporain. Payer les artistes lorsque leurs œuvres sont exposées ? L’idée semble aller de soi, puisque l’on rémunère bien les chanteurs dont les tubes passent à la radio ou les réalisateurs à qui on emprunte un extrait de film… Pourtant, le monde de l’art a longtemps fait exception, alors que le Code de la propriété intellectuelle (dans ses articles L122-1 et suivants) s’y applique sans ambiguité. Que dit-il ? Que l’auteur d’une œuvre jouit d’un droit d’exposition – ou de « communication publique » – qui découle du droit de représentation et lui permet d’être payé pour l’utilisation de son œuvre.
Ce droit a longtemps été ignoré, autant par des institutions privées que publiques, galeries, lieux de diffusion, festivals ou musées, qui évoquent des budgets limités, substituent à ce droit d’autres aides ou invoquent la « visibilité » accordée aux artistes lors des expositions qui présentent leurs œuvres et attirent le grand public. « Mais la visibilité ne les fait pas vivre ! » pointe Antinéa Garnier, directrice de l’association Maison des artistes. « Beaucoup d’artistes finissent par renoncer à ce droit d’exposition, pourtant ancien, parce que le lieu qui les expose prend en charge la réalisation d’une plaquette de communication sur laquelle leur travail est visible, ou les défraye », déplore Vincent-Victor Jouffe, artiste photographe.
Un rapport de force défavorable aux artistes
Pourtant, dès 2004 la Fraap, fédération regroupant des réseaux et associations d’artistes plasticiens, publiait une charte de déontologie stipulant que les droits d’auteur devaient être respectés, et proposait un « contrat type » à destination des artistes et des lieux. Difficile d’expliquer comment une telle situation a pu perdurer. (...)
le rapport de force a longtemps été et demeure défavorable aux artistes, face aux lieux de diffusion de l’art contemporain : « Craignant de ne pas être exposés, ils ont longtemps pris le parti de céder leur droit d’exposition », et renoncé à cette rémunération.
Les choses seraient-elles en train de changer ? Plusieurs initiatives ont vu le jour ces dernières années. Après des concertations menées en régions, une grille de référence pour cinq activités artistiques – accrochage, conception, rencontres, atelier et droit d’exposition – a été établie en début d’année en région Nouvelle-Aquitaine, par le réseau Astre, qui fédère les acteurs des arts plastiques et visuels. Le réseau national d.c.a « a ouvert ce chantier dès 2016 » et publié trois ans plus tard une charte de bonnes pratiques assortie d’une grille de rétributions minimales, à destination de ses quarante-sept centres d’art contemporain, laboratoires de production artistique. (...)
Et, fin 2019, le ministère de la Culture a produit des recommandations issues d’échanges entre le service de la création artistique, les musées de France, les organismes collecteurs de droits d’auteur, les Frac et centres d’art, et des professionnels du secteur. (...)
Des montants bas, qui ne s’appliqueront pas à tous
Du côté des artistes, on estime que ces montants restent bas. « Nous sommes toujours le parent pauvre », déplore Jean-Marc Bourgeois, secrétaire général du SMdA-CFDT, qui regrette par ailleurs que les syndicats d’artistes et organisations professionnelles n’aient pas été consultés par le ministère, alors qu’ils représentent « les premiers concernés ». (...)
Un dernier point fait toujours l’objet de négociations : le paiement s’applique aux œuvres empruntées pour une exposition temporaire, mais qu’en est-il des œuvres des collections ? L’enjeu est de taille pour les vingt-trois Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) répartis sur tout le territoire, dont les missions sont de « constituer des collections publiques d’art contemporain » et de les « diffuser auprès de tous les publics ». (...)
Désormais, lorsqu’ils empruntent, tous les Frac règlent le droit d’exposition. « Mais s’il devait aussi s’appliquer aux œuvres de la collection, des moyens supplémentaires du ministère et des Régions seraient indispensables, estime Claire Jacquet, directrice du Frac de Nouvelle-Aquitaine. Sans quoi la diffusion en région, et donc la visibilité des artistes de nos collections, se trouveraient en péril. » Depuis Bordeaux, elle organise des expositions à Dax, Libourne, Biarritz... « dans des structures modestes qui ne pourraient s’acquitter de ces montants ». « En attendant qu’une solution concertée se dessine, chaque Frac invente ses propres modalités de rémunération, renchérit Étienne Bernard, directeur du Fonds régional d’art contemporain de Bretagne. Divers scenarii sont envisagés, comme l’idée d’acheter, en même temps qu’une œuvre, un forfait de droits qui permettrait de la présenter sur une durée déterminée. Rien n’est arrêté. »
Un secteur marqué par la précarité et la variabilité des revenus
Sur toutes ces interrogations, le ministère – qui, à ce jour, n’a pas répondu à nos questions – est attendu. Il ne pourra pas s’exempter par ailleurs d’une réflexion plus globale sur le statut de l’artiste-auteur, sa protection sociale, ainsi que sur les moyens alloués au secteur. Le cliché de l’artiste vivant d’amour et d’eau fraîche a laissé la place à une rude réalité marquée par l’incertitude et la variabilité des revenus dans une économie faiblement structurée ni régulée, où seuls quelques cas hyper-médiatisés s’en sortent. (...)
Un constat qu’a renforcé, en janvier 2019, le rapport Racine, dont la plupart des recommandations (organisation d’élections professionnelles, création d’un Conseil national des artistes-auteurs) tardent à voir le jour. La mesure numéro 16 préconisait aussi de « généraliser sans délai le droit de représentation à l’ensemble des expositions temporaires dans les institutions publiques ». Parce que la « visibilité » peut bien nourrir l’esprit du visiteur, elle ne remplit pas toujours le ventre du créateur.