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Basta !
Dix jours à bord de l’Aquarius, un bateau qui sauve les migrants au large de l’enfer lybien
Article mis en ligne le 2 octobre 2017

Depuis février 2016, l’Aquarius sillonne la mer, au large de la Libye, pour porter secours aux migrants qui tentent la traversée. L’une des routes les plus meurtrières au monde : plus de deux milles personnes s’y sont déjà noyées en 2017. Le bateau est l’un des huit présents sur la zone – et le seul à y patrouiller toute l’année. Son équipage recueille des migrants dévastés par leur passage en Libye. Le journal CQFD, partenaire de Basta !, a pu embarquer à son bord pendant une dizaine de jours.

(...) Pour la dizaine de bénévoles de SOS-Méditerranée, la journée se passe en exercices de sauvetage : il faut roder les nouveaux, créer des automatismes. Les bénévoles de SOS-Méditerranée s’engagent pour trois rotations de trois semaines chacune. Après quoi ils doivent faire une pause. Certains rempilent, d’autres non. Ce ne sont pas des novices, la plupart ont déjà une expérience de marin, mais ce travail est particulier. Face à des gens paniqués et à leurs propres émotions, ils doivent savoir réagir, calmer, rassurer. (...)

Il fait nuit quand le transbordement commence. Pendant deux heures, le zodiac de sauvetage multiplie les allers-retours d’un bateau à l’autre, transportant quinze personnes à chaque fois. Hagards, les premiers rescapés posent un pied hésitant sur le pont, hissés par les bras et les sourires de Charly et Christina : « Bienvenue, mon frère, welcome, salam aleikoum. » Une seule femme, enceinte, au milieu de 117 hommes. Maliens pour la plupart, mais aussi Ghanéens, Gambiens, Sénégalais : presque toute l’Afrique de l’Ouest est représentée.

Tous sont pieds nus, certains même torse nu. Leurs habits empestent le gasoil, la merde, la sueur et la peur. On les fait se déshabiller, se laver, se changer. Tous reçoivent le même kit : des habits propres, une couverture, de l’eau et des biscuits hypercaloriques. Le médecin repère les blessés, organise les premiers soins. Certains s’effondrent de fatigue, d’autres tremblent sur leurs deux jambes. Peu à peu, les visages se détendent. Ce n’est qu’au bout de quelques heures qu’ils commencent à raconter. La peur lors de la traversée, celle de se noyer sur cet esquif surchargé. Mais ce n’est pas elle qui tire les visages, creuse les orbites. Non, ce qui les hante, c’est la Libye. (...)

Enfin les côtes siciliennes. Presque plus personne ne parle. Les formalités de débarquement prendront plusieurs heures, sous un soleil de plomb. Accueillis sur le quai par des silhouettes en combinaisons blanches, masquées, les réfugiés seront triés, numérotés, passés au détecteur de métaux, puis convoyés en bus vers des centres de rétention. Sur le bateau, tout le monde leur serrera une dernière fois la main. Alice se cachera pour pleurer. Les jointures de James blanchiront sur le bastingage. Les dents d’Anton grinceront d’impuissance. Puis ils se remettront au travail, nettoieront le bateau, prendront une cuite et repartiront le lendemain matin. Avec en tête cette phrase d’Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »