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« Dispak Dispac’h » de Patricia Allio : circulez, y’a tout à voir
/Florian Gaité Chercheur en philosophie.
Article mis en ligne le 15 novembre 2021

Mercredi, alors que la situation à la frontière biélorusse s’embrase, j’assiste au spectacle documentaire de Patricia Allio sur les migrations et la crise de l’hospitalité. J’en sors ému, piqué au vif, plus conscient. Depuis, les paroles les plus crasses se déversent sur les plateaux TV, preuve de plus, s’il en fallait, que les fantasmes autour de la migration engendrent des monstres.

Dispak Dispach, dernière création de Patricia Allio, fait circuler sans entrave une parole ouverte (« dispak » en breton) et révoltée (« dispac’h » en breton), ou plutôt un ensemble de paroles et de silences qui s’opposent aux impasses des discours. Les discours c’est généralement ce qu’on oppose aux actes. Ce sont les conventions internationales, les programmes de campagne, les déclarations d’intentions, les promesses en l’air, les lois qu’on oublie. Les beaux discours, les officiels, ceux qu’on préfère dire plutôt que mettre en pratique. C’est au Tribunal Permanent des Peuples[1], dont la pièce reproduit une séance, que revient ici la charge de les mettre en accusation. De son souffle net et son débit tranchant, aussi inflexible qu’un principe juridique, Élise Marie égrène les violations systémiques des droits de l’humain, de la personne, de l’enfant et des travailleur·se·s en Europe par les États-Nations mêmes qui les ont mis en place et sont censés les garantir. Son contre-discours rappelle la loi à la loi : ici on défend les droits humains jusqu’à s’époumoner, un moindre mal quand tant d’autres rendent pour rien leur dernier souffle. (...)

La scène est un asile ouvert où chacun peut dire son refus, son engagement, son humanité. On est sur un ring, au tribunal, en manif, au parlement, dans une réunion militante, en suspens au-dessus de la Méditerranée. En club aussi parfois. (...)

"Dispak Dispac’h", Patricia Allio, théâtre, 2h30, création 2021 au Théâtre National de Bretagne de Rennes (...)

Face à l’indifférence collective, à celle des navires marchands qui laissent crever les bateaux à la dérive, face à notre attentisme général et à la tentation de voir la misère comme un spectacle, Dispak Dispac’h nous remet littéralement à notre place. Celle de spectatrices et de spectateurs pressés d’agir, de comprendre, de ne pas ne pas ressentir. La pièce déconstruit juste assez le dispositif théâtral pour nous émanciper du show quotidien. On rejoint le centre, on circule, on s’assoie sur les bancs d’utopie, ceux de Francis Cape, pour commencer à y croire. (...)

Puis viennent les témoins. Ce soir-là, iels sont quatre : une ancienne députée européenne, un boulanger gréviste de la faim, un journaliste afghan, un des fondateurs d’Utopia 56. (...)

L’ensemble est un collectif. Toute les dimensions d’un art effrontément vivant sont convoquée (...)

Evitant le double écueil du misérabilisme et des raisonnements simplifiés, Dispak Dispac’h ouvre elle le dialogue, les esprits et l’espace d’une micro-révolution où célébrer les indisciplines. Nos défaites sont alors bien nos victoires, comme elle l’assure, consciente que la seule chose à ne pas perdre pour pouvoir s’insurger, ce sont encore nos voix. (...)

"Dispak Dispac’h", Patricia Allio, théâtre, 2h30, création 2021 au Théâtre National de Bretagne de Rennes