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Digne des Hobbits, la maison en mousse de David fascine, mais doit être détruite, près de Toulouse
#SDF
Article mis en ligne le 29 décembre 2022

Son bâtisseur, SDF, est prié de la démonter… Installée sur les rives du Touch à Tournefeuille, la "maison du Hobbit", toute en mousse, risque de disparaître avec la nouvelle année

« Je vis là ! » SDF pour le moins atypique, David, 53 ans, habite dans une étonnante maison qui, de prime abord, n’aurait pas déplu à un certain… Frodon Sacquet ! Huit mois déjà qu’il a élu domicile dans cette drôle de cabane, à Tournefeuille, aux portes de Toulouse, sur les rives du Touch. 

Près de la demeure du SDF, les flashs crépitent, les exclamations fusent… Rares sont les passants à ne pas s’arrêter, et à ne pas immortaliser l’instant. Mais ce logement que les habitants du cru ont affectueusement surnommé « la maison du Hobbit » risque bien de ne pas voir 2023 : considérée par la municipalité comme une « construction illégale », David doit la démonter avant ce dimanche 1er janvier. À quelques heures de Noël, un panneau de « mise en demeure » a été apposé sur le parvis de cette maisonnette devenue en quelques mois… la plus visitée de la ville.
« Au début, j’avais voulu cacher une tente »

L’hiver dernier, David avait déjà installé une cabane dans le quartier Empalot, à Toulouse, sur les rives de la Garonne : « Ma première maison est partie avec la crue », témoigne-t-il. En janvier 2022, le fleuve en furie était en effet sorti de son lit… Pas de quoi décourager David, qui a ensuite mis le cap sur ce parc public de Tournefeuille, en bordure du Touch.

C’est ici qu’il a érigé une drôle de maison bâtie à base de blocs de mousse, récupérés çà ou là, soigneusement découpés et façonnés, avant d’être peints à l’acrylique.

"Au début, j’avais juste voulu cacher une tente, puis petit à petit, c’est devenu une vraie cabane…" (...)

Entre le Seigneurs des Anneaux, Harry Potter… et les Schtroumpfs !

« Prenez ma maison en photo tant que vous voulez, mais pas moi, je n’aime pas ça ! » tonne David. Ce que représente cette cabane, digne d’une œuvre d’art ? « Chacun y voit un peu ce qu’il veut », sourit-il, laissant toujours libre champ à l’interprétation. (...)

Un « arbre à peluches » veille aussi sur ce logis, au pied duquel David a décrété une « Zone de réintroduction des peluches », où explique-t-il, « les gens viennent les relâcher pour qu’elles reviennent à l’état sauvage ». (...)

Mis à la rue par des squatteurs, cela devient « un choix de vie »

Doté d’une âme d’enfant, David était jusqu’à il y a peu rompu aux emplois de saisonnier – il était animateur dans des villages de vacances et autres campings, auprès des petits et des grands – quand sa vie a basculé en 2021. « Je suis parti faire une saison d’hiver dans les Alpes, et des squatteurs se sont installés dans mon appartement. Ils utilisaient mon électricité, ma connexion Internet, j’ai tout coupé, mais j’ai vite compris que je n’étais plus chez moi, même si c’était moi le locataire… Alors je suis parti ». Pourquoi ne pas s’être tourné vers la justice ? « Il aurait fallu des mois pour obtenir gain de cause », soupire-t-il.

"C’est comme ça que je me suis retrouvé à la rue. Au début, c’était un accident de la vie, puis c’est devenu un choix de vie".

« La vie est plus douce qu’elle ne l’était à travailler »

Dépourvu de téléphone et de télévision, David vit aujourd’hui sans électricité – « finalement, on n’en a pas besoin », observe-t-il – sans eau courante, et surtout sans regret. Car au final, assure-t-il, il considère qu’il est mieux ainsi.

"La vie est plus douce qu’elle ne l’était à travailler jour après jour sans rien gagner".

Alors que les clichés sur les SDF ont parfois la vie dure, David l’assure : « Je n’ai pas de fêlures dans la vie, ni d’addiction », mais « simplement un vrai plaisir à rencontrer les gens ». Pour l’avenir ? Il entend rester inséré dans la société : « Je vais retravailler, mais sans chercher d’appartement, car je veux rester SDF ». Féru de kayak depuis des années, il assouvit encore sa passion et s’offre des sorties toutes les semaines : « Je veux bien être SDF, mais pas pour renoncer à mes plaisirs. Car c’est un des rares sports où l’on peut vivre sa liberté ».

« C’est devenu l’attraction du quartier », disent les riverains

« Je suis SDF, mais je suis quelqu’un qui vit bien », insiste David. Vivant seul dans sa cabane, il ne se sent pas isolé pour autant. Pour le réveillon de Noël, des riverains sont même passés lui offrir un vrai repas de fête… (...)

"Dans la mesure où cela ne perturbe pas l’ordre public, pourquoi le faire le partir ? Ce qu’il fait, c’est extrêmement créatif. C’est drôle, plein de poésie, à une époque où en manque tant… À quoi bon freiner les gens dès qu’ils ont de la créativité ?" (...)

Entourant leur grand-mère, en ce lendemain de Noël, les deux enfants ont les yeux qui pétillent face à la maison du Hobbit. Monique est venue leur faire profiter d’un atelier créatif, dispensé par David, avec quelques morceaux de mousse, un peu de peinture… et beaucoup d’imagination ! Des ateliers un brin improvisés qui regroupent régulièrement 20 à 30 enfants dans le parc, entourés par leurs parents. De l’aveu de plusieurs participants, ces événements – auxquels la contribution financière est libre – connaissent un sacré succès. « Parfois, j’ai même dû refuser des enfants », appuie David. « Sur une seule séance, j’en avais une trentaine de volontaires ! Il faut dire que c’est la seule chose que je sais faire… ».

« David n’embête personne, il vit tranquillement et fait même des ateliers pour les enfants », embraye Victor, un autre local de l’étape. (...)

« Vous devez démonter cette installation » écrit la mairie

Pourquoi David doit-il quitter les lieux ? « Vous occupez le domaine public illégalement, car vous n’avez aucune autorisation de construction de cabane par Monsieur le maire. Pour des raisons de sécurité, vous devez démonter cette installation sous 8 jours », écrit la mairie de Tournefeuille dans sa « mise en demeure » qu’Actu Toulouse a pu consulter. Et si le SDF n’a pas fait le nécessaire à temps, « les services municipaux se chargeront du démontage à partir du 2 janvier 2023 », ajoute la municipalité.

Sur les rives du Touch, la maison du Hobbit a été installée… en zone inondable. « Je comprends la position de la mairie, qui ne veut pas de SDF sur sa commune. Mais le seul cas de figure dans lequel un maire peut me faire partir, c’est s’il y a péril grave et imminent », assure David, qui, s’il espère un dénouement à l’amiable, s’est toutefois rapproché d’un avocat. « Or, une crue est par définition prévisible un peu à l’avance, donc cela ne marche pas. Dans le cas présent, il suffit de regarder Vigicrues pour savoir quand les crues arrivent… Et puis, est-ce que la mise en danger n’est pas pire si je me retrouve sans toit en plein hiver ? »

Mais la municipalité, interrogée par Actu Toulouse, assure que le risque d’inondation n’est pas la seule raison qui a poussé la mairie à ouvrir le parapluie.
« Il fait des feux de bois à l’intérieur », déplore la municipalité

« Cette mise en demeure a été adressée suite à un signalement fait par des promeneurs, dans la première quinzaine de décembre », développe la mairie de Tournefeuille. (...)

« Nous comprenons son besoin de se réchauffer en hiver », souligne la mairie de Tournefeuille, « mais cela ne nous semble pas très sécurisé, pour l’occupant comme pour l’environnement ».
« La mairie fait l’économie de la démarche légale »

Le quinquagénaire, de son côté, déplore que la collectivité « ait fait l’économie de la démarche légale ». Car selon lui, « la mairie ne fait pas les choses dans les règles, puisqu’elle doit en premier lieu passer par le tribunal administratif », avant toute expulsion. « La trêve hivernale s’applique pour quelqu’un qui occupe illégalement une maison ou un appartement, mais là, le sujet est différent », rétorque la mairie. « Il ne s’agit pas d’un squat, mais d’une occupation illégale du domaine public », souligne-t-elle, mettant surtout en avant « les risques sur la sécurité ». 

Mais si l’arrivée de cette mise en demeure juste avant Noël a fait l’effet d’une douche froide chez David, d’autant qu’il n’a pas été contacté par la mairie au préalable, le SDF a bon espoir de « régler la situation à l’amiable ». (...)

« On pourrait effectivement penser, dans un souci humanitaire, qu’on peut le laisser habiter là jusqu’à la fin de l’hiver », réplique la mairie, « mais il fait du feu dans une maison en mousse, c’est dangereux. Et c’est un péril plus grave et imminent qu’une éventuelle crue ».

Quant à la mise en demeure, « elle a été émise sans connaissance de la situation personnelle » de David, admet la mairie de Tournefeuille. « Notre élu est passé sur place dimanche, a rencontré l’occupant, qui s’avère être sans domicile fixe, une donnée que nous n’avions pas jusqu’ici ».

"Nous lui avons proposé un rendez-vous avec un travailleur social, pour qu’une solution alternative puisse être trouvée". (...)

Qu’il soit amené à démonter son installation sur les rives du Touch ou pas, David prévient : ses cabanes en mousses à Toulouse, « c’est parti pour durer. Mais la prochaine, je veux la structurer ». Le SDF artiste annonce la couleur : « Ce sera la Maison de Hagrid », une cabane bien connue des fans d’Harry Potter. 

Et si l’envie vous prend de vous arrêter pour une parenthèse enchantée sur le parvis de cette demeure éphémère, avant qu’elle ne disparaisse avec l’arrivée de la nouvelle année, gare à ne pas souhaiter « bon courage » à David à l’heure de l’au-revoir. « Les gens me disent tous ça, mais c’est à eux qu’il faut plutôt le dire : bon courage avec les impôts, la voiture, les factures et tout ça… »