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Alternatives Économiques
Dialogue social dans les plateformes : les ubérisés ne voient rien venir
#uber #livreurs #précarité
Article mis en ligne le 10 août 2023
dernière modification le 9 août 2023

Plutôt que de permettre aux travailleurs des plateformes d’être salariés, la France a choisi la voie du dialogue social, mais derrière les promesses, la précarité reste la norme.

Ni salariés ni autorisés à fixer leurs propres tarifs comme de véritables indépendants. Pour les chauffeurs de VTC et les livreurs de repas, difficile de se faire respecter face aux grandes plateformes. Devant un tel déséquilibre dans le rapport de force, l’Espagne tranchait en mai 2021 avec la « loi riders », qui instaurait une présomption de salariat pour les livreurs travaillant pour une plateforme. Le changement est de taille : désormais, les livreurs doivent, par défaut, être salariés, à moins que la plateforme ne réussisse à prouver aux autorités qu’ils sont réellement indépendants.

Un mois plus tôt, la France faisait un autre choix : inciter les plateformes à négocier avec leurs travailleurs, dans l’espoir que leurs conditions de travail s’améliorent. Pour encadrer ce dialogue, le gouvernement a créé l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (Arpe). Mais deux ans plus tard, a-t-elle fait ses preuves ? (...)

En 2023, l’Arpe a accouché de ses premiers résultats. Deux accords instaurant des revenus minimums ont été signés, l’un pour les livreurs, l’autre pour les chauffeurs. Ils sont célébrés en grande pompe par le gouvernement et les plateformes, et abondamment relayés par la presse. La toute nouvelle autorité paraît alors prometteuse. « Nous sommes dans des secteurs où jusqu’à maintenant, rien ne se passait. On est au tout début ! », s’enthousiasme Joël Blondel, le directeur de l’Arpe.

Accords au rabais

Parmi les signataires de l’accord des livreurs, conclu le 20 avril 2023, figurent Uber, Deliveroo et Stuart, réunis derrière une organisation patronale commune : l’Association des plateformes d’indépendants (Api). Mais du côté des représentants des travailleurs, les signatures sont plus rares. Une seule des quatre organisations, la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (Fnae) qui défend ce statut d’indépendant, a jugé bon de le parapher. Union-Indépendants, une organisation affiliée à la CFDT, s’est abstenue. La CGT et Sud Commerces ont voté contre.

11,75 euros par heure de livraison : « C’est trop bas », pour la CGT (...)

Le texte acte un minimum de 11,75 euros par heure de livraison. Un montant à peine supérieur au Smic horaire pour des travailleurs qui doivent eux-mêmes prendre en charge tous les frais liés à leur activité. (...)

Outre son montant, cet accord a un autre défaut majeur : il ne prend pas en compte le temps passé entre deux commandes. Selon les indicateurs fournis par l’Arpe, un livreur attend entre 10 et 20 minutes avant une livraison. (...)

Des montants peu incitatifs

Du côté des chauffeurs, l’accord du 18 janvier 2023 suscite également de l’amertume, même si cette fois quatre des sept organisations de travailleurs l’ont signé1. Les chauffeurs bénéficient désormais d’un revenu minimum de 7,65 euros par course, largement inférieur au montant moyen de 17 euros proposé par Uber. (...)

S’il est habituel que les représentants de salariés se querellent sur le contenu des accords, l’Arpe a réussi à susciter un désaccord sur sa légitimité même. En mai 2022, des élections ont eu lieu pour désigner les organisations représentatives des travailleurs. Boycotté par le syndicat INV ou le Collectif des livreurs autonomes de plateformes (Clap), le scrutin est surtout boudé par les travailleurs. Moins de 2 % des livreurs et moins de 4 % des chauffeurs VTC ont mis un bulletin dans l’urne électronique.
La France ouverte au modèle sans salarié

Avec une aussi faible participation, difficile de faire pencher le rapport de force du côté des travailleurs. (...)

La mise en place de cette autorité a en tout cas servi d’argument politique à la France dans le débat européen qui se joue actuellement sur la mise en place d’une présomption de salariat pour les travailleurs de ces plateformes. Avant même l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, l’Hexagone s’était déjà montré très favorable à cette économie sans salarié. C’est ce qui ressort d’un récent rapport parlementaire – dont la rapporteure est Danielle Simonnet (LFI) –confirmant l’implication active du chef de l’Etat, alors ministre de l’Economie, dans l’installation d’Uber en France. Et depuis, ce soutien ne s’est pas démenti. (...)

Finalement, l’accord négocié au sein du Conseil de l’Union européenne sur ce sujet, le 12 juin 2023, semble démontrer l’efficacité de cette stratégie, tant il a été revu à la baisse. Trois critères sur sept devront être remplis pour appliquer la présomption de salariat, alors qu’elle était automatique dans la proposition du Parlement européen.
La jurisprudence en faveur des travailleurs (...)

Actuellement, la stratégie des avocats des travailleurs est en effet de démontrer que ces derniers travaillent sous l’autorité d’une plateforme, et ainsi conduire les juges à conclure à l’existence d’une relation de travail entre un salarié et son employeur.

Cette stratégie a fait ses preuves puisque les conseils de prud’hommes donnent presque systématiquement raison aux travailleurs face aux plateformes en requalifiant la relation commerciale en contrat de travail. Depuis un arrêt de la Cour de cassation de mars 2020, les décisions de requalification s’enchaînent. (...)

En janvier 2023, l’avocat avait fait requalifier le contrat de 139 chauffeurs, obligeant ainsi Uber à leur verser près de 17 millions d’euros, une décision dont la plateforme a fait appel. Mais certains craignent que l’Arpe ne vienne encore une fois perturber cette reconnaissance d’une situation de salariat. « C’est un cheval de Troie qui permet d’éliminer le faisceau d’indices prouvant la subordination », s’inquiète Brahim Ben Ali. (...)

Reste que faute d’action politique sur la question du statut des travailleurs, le combat risque d’être long. « On continuera jusqu’à ce que ces plateformes se conforment au droit », assène l’avocat.