
(...) « Il nous faut plus de bois », annonce Chafai Rhoudane, de l’équipe de travailleurs marocains. Ce sont eux qui se chargent de placer des soutiens sous les branches prêtes à craquer sous le poids des pêches. Pour ce genre de travaux, en temps normal, Patrice Vulpian s’appuie surtout sur des équipes de Marocains venus en contrat Ofii, un dispositif permettant le travail saisonnier temporaire une fois qu’un employeur a identifié un travailleur extra-communautaire. (...)
Pour compléter son équipe, Patrice Vulpian jongle avec des embauches en direct, des contrats Ofii qui permettent d’embaucher des étrangers extra-communautaires, le recours à Terra Fecundis, une entreprise de travail temporaire espagnole...
Mais cette année, « j’ai vingt personnes bloquées au Maroc qui viennent six mois par an depuis des années, raconte le patron. J’essaye de fidéliser au maximum, de travailler sur la confiance, on a tellement besoin des travailleurs qu’on les respecte au maximum. » Parce qu’à chaque fois que les personnes changent, il faut inlassablement expliquer les gestes et s’assurer de l’état d’esprit compatible avec l’autonomie qu’il laisse dans les champs. Patrice Vulpian n’est pas du genre à mettre un chef derrière chaque travailleur. Et quand il trouve des ouvriers à sa convenance, il fait tout pour les garder. Il a aidé dix de ses ouvriers marocains qui viennent depuis trente ans à obtenir des papiers pour qu’ils puissent s’installer durablement. Ils font désormais partie de l’équipe permanente de l’exploitation et quelques-uns ont même obtenu la nationalité française.
Depuis des années, la politique de la maison était de ne plus chercher de Français
Mais cette année, alors que la saison de l’ébourgeonnage correspondait au confinement, sa main-d’œuvre étrangère habituelle n’a pas pu venir. Faskia Vulpian, sa fille, a récolté des candidatures par Pôle emploi, par la plateforme « Des bras pour ton assiette » et surtout par Facebook et le bouche-à-oreille. « Ils sont arrivés en avril pour l’éclaircissage : c’est le plus facile, les conditions climatiques sont bonnes. Maintenant, on arrive aux grosses chaleurs et c’est plus compliqué », explique-t-elle.
Alors que la voiture du chef approche d’une équipe de jeunes Français affairés dans un verger de pêches, trois d’entre eux se lèvent subitement pour se remettre fissa au travail. « Voilà, c’est pas sérieux, on est déçu, c’est une fois sur deux », appuie Patrice Vulpian. Même si « c’est une question de mentalité, pas de nationalité », le patron n’a visiblement pas de temps à perdre avec le tri des mentalités. Depuis des années, la politique de la maison était de ne plus chercher de Français. (...)
Patrice Vulpian a fait appel à des travailleurs de Terra Fecundis : eux, « ils acceptent tous les travaux ». C’est l’une des plus grandes entreprises de travail temporaire (ETT) espagnole, fournissant de la main-d’œuvre agricole presque exclusivement à des exploitations du sud de la France. En 2016, près de 6.000 saisonniers de l’entreprise sont arrivés en France. (...)
Sur une exploitation de tomates des Bouches-du-Rhône, un jeune chef d’équipe français explique travailler régulièrement avec des travailleurs saisonniers étrangers employés via Terra Fecundis : « Si un travailleur ne convient pas, en une heure, il peut dégager. Il est renvoyé en Espagne ou ailleurs… Ça dépend vraiment du patron français qui sous-traite la main-d’œuvre. » Les travailleurs détachés bénéficient d’un statut légal, créé par l’Union européenne. Mais la situation précaire des personnes employées, qui souvent ne parlent pas français, facilite les entorses au droit du travail et les maltraitances (...)
Les ouvriers que le jeune chef d’équipe côtoie sont logés pendant plusieurs mois dans des bungalows qu’ils se partagent. « Moi je n’y vivrais pas… L’inspection du travail est déjà passée et a demandé de changer certains trucs pour être aux normes », dit-il. Pour lui, ces ouvriers sont considérés comme du « tout-venant ». Patrice Vulpian confirme : « C’est pratique, tu ne t’occupes de rien. » (...)
Insectes, literies dégradées, matelas au sol, absence d’armoires individuelles... (...)
La chaleur écrasante et les moustiques rendent les lieux très peu accueillants et les habitants ne savent souvent pas exactement où ils sont vraiment. (...)
Dans un arrêté consulté par Reporterre et émis fin juin par la préfecture des Bouches-du-Rhône et l’inspection du travail, Didier Cornille a été sommé de fermer les lieux sous quatre jours « pour de nombreux manquements » (...)
Cela devait être fait dans les deux jours suivant l’émission. Pourtant, si la plupart des gens ont été dispersés dans d’autres mas ou dans des campings de la région, 25 personnes y vivent toujours, livrées à elles-mêmes, et continuent à travailler dans des exploitations alentour.
L’unité de gendarmerie d’Arles censée faire exécuter cet arrêté n’a pas souhaité répondre à nos questions et nous a renvoyé vers la préfecture. Interrogé sur la question par Reporterre, Pierre Dartout, préfet des Bouches-du-Rhône et émetteur de l’arrêté, s’est montré évasif (...)
deux autres lieux d’hébergement collectif dans la région de Saint-Martin-de-Crau et de Maillane, dans les Bouches-du-Rhône, ont également fait l’objet d’arrêtés préfectoraux. (...)
Selon nos informations, à ce jour, ces arrêtés n’ont pas non plus été respectés et les mises en demeure n’ont pas été appliquées.
« Ceux qui disent qu’il faut relocaliser sont les mêmes qui pleurent parce qu’il leur faut absolument des travailleurs étrangers » (...)
« Si j’avais su que j’allais trouver ça en venant en France, je ne serais jamais venu ! » (...)
« sans heure de fin de journée, tu peux pas savoir quand tu vas t’arrêter, parfois tu travailles jusqu’à 21 heures ». (...)
Derrière l’insistance de nombreuses organisations d’agriculteurs et de responsables politiques à consommer local, la réalité est peu radieuse et semble étrangère au consommateur. (...)
Dans certaines régions, les recrutements sont plus simples qu’ailleurs. Là où le chômage est élevé, de nombreux saisonniers sont embauchés via Pôle emploi, les missions locales ou les groupements d’employeurs agricoles (GEA).
En France, une large part de la main-d’œuvre agricole saisonnière est étrangère et vient travailler quelques mois dans les cultures en plein champ ou en serre. Avec la fermeture des frontières extérieures de l’Union européenne lors du confinement, une grande majorité des quelque 7.000 Maghrébins saisonniers (essentiellement venus de Tunisie et du Maroc) n’ont pas pu venir en France.
Pour y pallier, le gouvernement et la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire, ont lancé un appel via la plateforme en ligne « Des bras pour ton assiette » qui devait mettre en relation des personnes en chômage partiel ou sans emploi avec les exploitants agricoles en mal de main-d’œuvre. « Sur 300.000 inscrits sur la plateforme, il y a eu environ 15.000 mises en relation. C’est déjà beaucoup pour le secteur et toutes les demandes n’étaient pas en adéquation avec les besoins, les disponibilités et les zones géographiques. » La dépendance du modèle agricole à la main-d’œuvre étrangère n’est pas près d’être résolue.