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Mediapart
Des profs en situation de handicap se disent malmenés par le Cned
#CNED #educationnationale #handicap
Article mis en ligne le 10 novembre 2022
dernière modification le 9 novembre 2022

L’Éducation nationale permet aux enseignants qui ne peuvent plus faire classe en raison de leur état de santé de travailler depuis leur domicile, par le biais du Centre national d’enseignement à distance. Mais cet aménagement peut être remis en cause, et certains se considèrent alors poussés vers la sortie. Jusqu’au drame, parfois.

Lundi, après les vacances de la Toussaint, Sandra Vétier-Rey, enseignante agrégée en écogestion, ne sera pas devant ses élèves. Après sept années en poste adapté au Centre national d’enseignement à distance (Cned), elle a repris en septembre le travail en établissement, malgré sa situation de handicap, dans un lycée de Nîmes (Gard). Mais son état de santé ne lui permet plus d’assurer sa mission.

Sandra Vétier-Rey a certes obtenu un mi-temps, comme l’a préconisé son médecin traitant. Tout l’été, elle s’est aussi démenée pour que le fauteuil sur mesure dont elle a besoin pour travailler soit livré à temps. D’abord sans attribution dans le lycée, elle avait proposé de récupérer deux classes de première, après la démission d’un collègue, la veille de la rentrée. Elle aime son métier et détesterait se sentir « inutile ». (...)

L’enseignante est reconnue comme travailleuse handicapée depuis 2010, aujourd’hui avec un taux d’incapacité supérieur à 80 %. Elle subit les assauts d’une maladie chronique, évolutive et invisible, qui l’empêche de soutenir longtemps les positions debout et assise. Jusqu’en juin, elle travaillait allongée, à domicile, pour le Cned – 1 150 enseignantes et enseignants de l’Éducation nationale s’y occupent à distance de près de 23 000 élèves de primaire et de collège, et de plus de 14 600 élèves de lycée. (...)

Sandra n’imaginait pas qu’un renouvellement de son poste au Cned lui serait refusé. Et pourtant. « Compte tenu du caractère limitatif du contingent (60 postes) » et « du nombre élevé de demandes », elle a été « classée dans le groupe “non prioritaire” », lui a signifié le rectorat dans un courrier le 28 mars. Ce dernier rappelle que « le dispositif d’affectation sur des postes adaptés est une aide temporaire aux personnels en difficulté de santé, dans la perspective d’une reprise des fonctions initiales ou de la préparation d’une reconversion professionnelle ».

Quelques semaines après la réception de cette lettre, une entreprise mandatée par le rectorat est venue chez l’enseignante pour aménager son poste de travail. Une adaptation qu’elle réclamait depuis trois ans, mais désormais inutile…

Une fois en classe, comme elle le craignait, elle s’est rapidement affaiblie. « Mon corps a lâché. Je n’arrive plus à marcher sans béquilles », confiait-elle dès le 22 septembre. Mais elle a continué d’aller au lycée. Puis, pour tenter de récupérer, elle a passé toutes les vacances de la Toussaint allongée. En vain. Juste avant la rentrée de novembre, elle a constaté qu’elle ne serait pas en état de retourner devant les élèves. « Ce n’est pas une vie », souffle-t-elle. Elle compte réitérer une demande de poste au Cned pour la rentrée 2023.

« Stop à la maltraitance » (...)

Où sont les carences ? D’abord dans les dispositifs d’adaptation, conçus « en paliers », comme nous l’a expliqué le ministère par écrit. On commence par l’aménagement de poste, c’est-à-dire une aide humaine ou matérielle visant à compenser le handicap sur le lieu de travail.

« Mais l’enseignant peut se confronter à un refus, au motif que sa demande entre en concurrence avec les contraintes de son établissement », constatent Ludivine Debacq et Hervé Moreau, du syndicat Snes-FSU. « Les médecins de prévention des rectorats gèrent la pénurie de moyens », insiste pour sa part Maud Valegeas, de Sud-Éducation. (...)

Deuxième palier : l’allègement de service, qui permet aux enseignants et enseignantes de travailler à temps partiel pour raison médicale, sans réduction de salaire. Cette aide est limitée dans le temps, et son renouvellement soumis à examen chaque année, y compris lorsque le handicap est permanent. (...)

Troisième palier : les postes adaptés, de courte durée (un an, renouvelable deux fois) ou de longue durée (quatre ans renouvelables sans limite), permettent aux enseignant·es qui ne peuvent plus faire classe de travailler au Cned ou, dans une moindre mesure, dans des services administratifs ou de documentation. Cependant, « les capacités d’affectation des académies sur postes adaptés sont limitées », indique le Cned à Mediapart. Qui ajoute que cette affectation « ne constitue réglementairement pas un droit ». (...)

Craignant d’être mis à la retraite d’office, il se suicide

Enfin, le dernier palier conduit à la porte de sortie. Dans ce cas, les profs bénéficient « d’un accompagnement dans le reclassement en cas d’inaptitude aux fonctions », assure le ministère. Sandra affirme pourtant, comme d’autres, n’avoir jamais bénéficié d’un quelconque accompagnement. Elle-même ne voit pas, dans son état et à 51 ans, quel reclassement envisager. Alors que le cadre aménagé du Cned lui permettait de poursuivre le métier qu’elle aime, son retour en établissement revient à la « pousser vers l’inaptitude et la retraite pour invalidité », dénonce-t-elle.

La retraite pour invalidité, c’était la grande crainte de Jean-Christophe Da Silva, professeur certifié d’anglais en collège depuis 2000. Il s’est suicidé en septembre 2021 (...)

Le suicide de son frère, Francine en tient pour responsable « la machine à broyer qu’est le Cned ». Elle cherche à obtenir que « l’institution reconnaisse ses dysfonctionnements et y remédie ». (...)

Aucun collectif de travail

C’est là tout le paradoxe du Cned, qui accueille des enseignantes et enseignants fragilisés par leur état de santé. Outre que cette solution est précaire et soumise à des réévaluations régulières souvent vécues comme humiliantes, le travail y est rébarbatif et s’y pratique dans l’isolement. Le Cned organise bien des réunions virtuelles entre enseignant·es, mais plusieurs témoins nous ont indiqué ne pas s’y sentir à l’aise pour échanger librement, en particulier sur les conditions de travail. Certain·es ont créé des espaces de discussion parallèles sur les réseaux sociaux.

« La logique taylorienne de correction des copies du Cned dépossède les enseignants de leur capacité à créer du travail », souligne Hervé Moreau, chargé des questions de santé au Snes. (...)

Le Cned est « un laboratoire du management néolibéral dans l’Éducation nationale », affirmaient, mi-septembre, les enseignant·es et chercheur·es, Frédéric Grimaud et Laurence de Cock, sur le site de la revue Regards. On y parle « marque », « clients », « offre »… « Le ministère pousse le Cned à une démarche de rentabilité », confirme Hervé Moreau. Un contexte de travail peu favorable à l’inclusion ou au maintien dans l’emploi des travailleuses et travailleurs fragilisés.