
En période de calme relatif
Après la tempête de janvier, des sept gardes à vue et des comparutions immédiates, des trois conseils de discipline, des deux conseils de vie scolaire et des deux exclusions définitives, vous êtes en droit de vous demander comment va cette étrange classe ! Rassurez-vous, il n’est pas dans mes intentions de vous priver de la vérité quitte, une fois encore, à passer pour un mauvais, un incompétent ou bien un geignard.
« »Les adeptes de la théorie de l’exemple en seront pour leur frais. La secousse passée, les petits travers reviennent au galop. Les élèves, si on peut leur accorder ce substantif, ne remplissent toujours pas le rôle qui devrait leur incomber. La classe demeure un vaste salon où chacun parle quand il en éprouve le besoin, besoin qui ne cesse de s’imposer d’ailleurs. Le travail scolaire est toujours aussi laborieux et l’apprentissage défaillant.
Il y a heureusement quelques petites inflexions. Ils subissent à la maison quelques petites pressions qui leur imposent de rendre parfois un travail écrit quand je leur donne un devoir. J’en profite pour introduire enfin quelques exercices purement scolaires et parfaitement nécessaires compte tenu du niveau réel des troupes. Le chemin à parcourir est si long que je doute que nous réussissions un miracle. Qu’importe !
La classe a parfois, trop rarement, l’allure d’une classe ordinaire. Le silence hélas ne dure jamais plus de quelques minutes. Les apartés reprennent bien vite, les bavardages incessants font penser au bourdonnement d’une ruche laborieuse, à la différence près que les ouvrières ne font rien d’autre. Je dois m’estimer heureux, il est d’autres cours où même le calme relatif n’est pas encore acquis.
Je me désespère de ne pas travailler et m’en plains à mes responsables qui relativisent ma déception, satisfaits qu’ils sont de la paix revenue. Comme si j’avais seulement à me contenter de tenir, dans une salle de classe, un groupe de quatorze adolescents ! Cette ambition insensée qui est mienne de leur transmettre des connaissances, de leur donner le goût de la lecture, le plaisir de la découverte, l’envie du savoir, c’est placer la barre trop haut, sans nul doute ; les faire se tenir tranquilles devrait me suffire ! (...)
Je pourrais ainsi vous parler de chacun d’eux. Je passe assez temps à les observer pour comprendre que derrière la façade, le tumulte et les dérapages, il y a le constat terrible que tout ou presque est déjà joué, que le retard accumulé est pratiquement rédhibitoire, que le parcours actuel ferme presque toutes les portes, que les années passées à ne pas apprendre ont installé des stratégies d’évitement qui ne peuvent se briser aisément. Ils sont sans illusion et ils n’ont que quinze ans. C’est terrible !
Alors oui, à quoi bon s’escrimer à vouloir encore et toujours croire au miracle, quand eux ont abdiqué devant l’évidence et la prédestination, le diagnostic tombé si tôt et les reproductions de désastres familiaux, les pensées négatives et l’image calamiteuse qui poisse et qui stigmatise ? Ils font tout pour être conformes à ce désastre annoncé, il font tout pour décourager ceux qui veulent encore croire au miracle et qui leur tendent encore la main, jour après jour, malgré tant de déceptions, de désillusions, d’ennuis, voire de mépris.
Demain, je retournerai au front. Demain j’espérerai encore trouver la lumière, ouvrir une brèche, déclencher une réaction. Ce n’est plus un métier, c’est devenu un sacerdoce, une mission suicide. Pourtant, demain encore l’espoir sera au rendez-vous jusqu’à ce qu’ils brisent ce qu’ils ne peuvent supporter : la réalité de leurs difficultés.
Objectivement leur.