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Mediapart
Des mosquées discriminées par des banquiers zélés, Darmanin s’exonère de toute responsabilité
Article mis en ligne le 13 juin 2022
dernière modification le 12 juin 2022

Depuis plusieurs mois, des mosquées et des donateurs voient leurs comptes bancaires bloqués sans explication. Dans un courrier signé à quatre jours des élections législatives, le ministre de l’intérieur reconnaît le phénomène. Mais renvoie la balle à son collègue de Bercy et à la Fédération bancaire française.

L’effet du calendrier électoral, sans doute. Voilà plus de deux ans que des voix s’élevaient contre les entraves financières qui s’abattent sur des mosquées, associations musulmanes et particuliers, avec des comptes bancaires bloqués du jour au lendemain en dehors de toute procédure judiciaire, sans justification des banques, dans la plus grande opacité. Après des mois de réserve sur le sujet, c’est à l’orée du premier tour des législatives, et alors qu’il se présente ce dimanche dans la 10e circonscription du Nord, que Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur chargé des cultes, a décidé de sortir du bois.

Dans une lettre envoyée le 8 juin au ministre de l’économie et des finances, qui a opportunément « fuité » dans la presse, le locataire de la Place Beauvau reconnaît pour la première fois le phénomène. Il regrette le « comportement de certains établissements bancaires », adopté « au nom de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme » mais consistant à fermer les comptes d’associations exerçant le culte musulman « sans préavis, ni explications », au motif d’une « utilisation d’argent liquide », de l’usage de « cagnottes en ligne » ou encore de « financements internationaux » ; alors que « la seule obligation porte sur l’envoi d’une déclaration de soupçon étayée à Tracfin [le service antiblanchiment de Bercy – ndlr] », rappelle le ministre. (...)

Le recteur de la grande mosquée de Lyon, Kamel Kabtane, qui interpelle en vain les autorités sur ce dossier depuis 2021, a peu goûté, semble-t-il, la missive de la Place Beauvau. Le lendemain du courrier, le responsable du Conseil des mosquées du Rhône (CMR) prenait la plume pour inciter ses fidèles à se déplacer aux urnes ce dimanche. Dans un bras de fer parfaitement assumé. « Je ne suis pas né de la dernière pluie. On sait comment ça fonctionne [avec les politiques – ndlr] », fait valoir le responsable cultuel, contacté par Mediapart.

Trois jours plus tôt, le 6 juin, Kamel Kabtane était à l’origine d’une lettre assaisonnée adressée à Emmanuel Macron, dans laquelle il dénonçait un « apartheid bancaire » subi par les musulmans.

« Des dizaines de mosquées en pleine construction (ou extension) ont subi la fermeture de leurs comptes bancaires », indiquait-il, évoquant également les « fermetures massives de comptes bancaires de particuliers ayant participé à la construction de mosquées ».

Selon La Croix, des cas similaires ont été également relevés à Nancy, dans le département de Seine-Saint-Denis ou encore à Marseille, où la mosquée Al-Islah, note le journal, « a dû récemment en moins d’un an changer trois fois de banque ».

Une situation ubuesque constatée partout sur le territoire, qui frappe des associations musulmanes n’ayant bien souvent jamais eu affaire à la justice.
Conséquence de l’offensive « anti-séparatiste »

Subitement privées de compte en banque, elles se retrouvent à courir d’établissement en établissement en espérant en trouver un pour y déposer les deniers du culte, amassés chaque semaine.

Comment expliquer la dérive ? Le ministère de l’intérieur, en tout cas, s’en lave les mains. Selon lui, les banques seraient les seules responsables.

Pour les avocats et défenseurs des droits, la multiplication de fermetures de compte comme le gel des avoirs constitue un nouveau détournement des outils de lutte contre le « séparatisme » utilisés par le gouvernement. (...)

« C’est assez ironique d’entendre le ministère de l’intérieur faire comme s’il découvrait le problème », grince Me Amele Faoussi. Pour l’avocate, les banques et les ministères des finances et de l’intérieur « sont peut-être responsables au même niveau ».

Pour autant, note l’avocate, il ne faut pas oublier l’impulsion de la Place Beauvau « qui alimente un climat de suspicion généralisée » en produisant des « notes blanches ou en multipliant les signalements ». (...)

Dans la foulée, plusieurs responsables associatifs ainsi que leurs proches ont pourtant reçu un courrier de leur banque annonçant la clôture de leurs comptes personnel et même professionnel. Le 2 juin, les deux avocates ont saisi le ministre de l’économie et des finances du sujet. (...)

Or, « il n’existe aucun recours effectif, ni a posteriori, contre les signalements abusifs de Tracfin pour les personnes et structures ciblées par cet organisme, dont les travaux se font dans la plus grande opacité », note l’association Action droits des musulmans (ADM), dans une contribution à l’ONU rédigée sur ce sujet au mois de juin.

« C’est l’opacité la plus totale, née de la rencontre du secret bancaire et de celui des services de renseignement », résume Sihem Zine, responsable d’ADM. (...)