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Street Press
Des gardés à vue dénoncent « des actes de torture » au commissariat du 19ème arrondissement
Article mis en ligne le 13 novembre 2020
dernière modification le 12 novembre 2020

Témoins et victimes racontent à StreetPress de très longs passages à tabac en groupe sur des individus entravés. Des scènes qu’ils qualifient de « torture », entrecoupées d’insultes à caractère raciste et de menaces de mort.

« J’étais menotté, les bras écartés et ils tapaient, tapaient. C’est de la torture. » Attablé dans la cour de StreetPress, Moha bute sur les mots au moment de raconter son histoire. Cet Algérien de 37 ans a été violemment tabassé par des policiers du 19ème arrondissement de Paris, dans la nuit du 7 au 8 juillet 2020, après un délit. « Je n’ai jamais reçu autant de coups et d’insultes. Pourtant j’en ai fait des gardes à vue, mais celle-là c’était violent », soupire-t-il. Quelques mois après les faits, il se souvient avoir reçu « entre 30 et 40 coups » de poing et de pied dans le ventre ou le torse, ainsi que des gifles.

Il n’est pas le seul à dénoncer des violences policières subies la nuit, au sein du commissariat du 19ème arrondissement de Paris. StreetPress a pu recueillir la parole de plusieurs gardés à vue qui témoignent de scènes d’une extrême brutalité. Des passages à tabac en groupe sur des individus entravés, entrecoupés d’insultes à caractère raciste et des menaces de mort. Mediapart a, de son côté – avec l’aide du journaliste Valentin Gendrot, auteur d’une infiltration de six mois dans ce même commissariat –, documenté d’autres violences, commises la journée cette fois, et des faux témoignages. Nous avons décidé de coordonner la sortie de ces deux enquêtes. (...)

Le médecin aurait fait un faux

Quelques jours après les faits, il ressent encore des douleurs à chaque fois qu’il inspire ou qu’il bouge le bras. Et pour cause, une de ses côtes est fracturée d’après une radio effectuée mi-juillet. Un certificat médical que StreetPress a pu consulter en atteste.

Le soir de son interpellation, peu avant minuit, alors qu’il a déjà subi ce passage à tabac méthodique, un autre certificat médical assure pourtant sa compatibilité avec une garde à vue. Moha s’en étonne :

« J’ai dit au médecin qu’ils m’avaient frappé, pourquoi il n’a rien fait ? Pourquoi il n’a rien noté ? »

Le papier est signé du docteur G., membre de l’unité médico-judiciaire Paris-Nord (UMJ). Selon un salarié de cette UMJ, ce dernier n’aurait en fait jamais vu Moha. Un autre médecin l’aurait vu à sa place et c’est le docteur G. qui aurait écrit le certificat en tant que responsable de garde. Une pratique courante selon un autre médecin de ce même UMJ, qui ne voit pas où est le problème. Pourtant, selon plusieurs avocats interrogés, il s’agit d’un « faux », délit répréhensible. (...)

Même si le premier médecin ne fait pas mention des coups, de nombreux éléments de procédures attestent de ces violences (...)

Moha est resté en prison jusqu’à la mi-août. Il a fini par être libéré pour une nullité de procédure. Il a, avec son avocat, déposé une plainte pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique. (...)

Liu Shaoyao, tué par la Bac du 19ème (...)
StreetPress a pu, à partir de différents documents de procédures, identifier ces trois fonctionnaires mis en cause par Moha. Deux d’entre eux, les gardiens de la paix D. et G., faisaient partie de l’équipage de la BAC qui, le 26 mars 2017, a été impliqué dans la mort de Liu Shaoyao (il ne s’agit pas du tireur). (...)

Le sujet va s’inviter à l’Assemblée nationale

En 2013, déjà, StreetPress racontait le passage à tabac d’un collégien dans ce même commissariat. Il avait eu le bras cassé. Au fil des années, plusieurs autres articles de presse ont documenté les violences de certains fonctionnaires de cet arrondissement. Et en 2018, deux policiers (identifiés grâce à des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux) ont été condamnés pour des violences commises sur des lycéens de Bergson. Plus récemment Yann Manzi, témoignait auprès de Konbini d’une scène d’une grande violence commise le 1er septembre au sein du commissariat toujours, mais en journée. C’est aussi au sein de ce comico que le journaliste Valentin Gendrot a mené une infiltration. Dans son livre, Flic, publié aux éditions Gouttes d’Or, il raconte plusieurs violences policières. Son témoignage, largement relayé, a déclenché l’ouverture d’une enquête confiée à l’IGPN.

Mediapart publie ce jeudi 12 novembre, des enregistrements qu’il a réalisés pendant ces six mois sous couverture. Ce jeudi 12 novembre, Valentin Gendrot et le journaliste David Dufresne sont également auditionnés à l’Assemblée nationale, dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire « relative à l’état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l’ordre ». Les révélations de StreetPress devraient nourrir utilement les débats.

Contacté par StreetPress, le parquet de Paris confirme que des enquêtes ont été ouvertes à la suite de la publications du livre de Valentin Gendrot et du témoignage de Yann Manzi, révélé par Konbini. Les investigations sont en cours et sont couvertes par le secret. Le parquet n’avait pas encore répondu à nos questions relatives aux autres procédures évoquées dans cet article, au moment de la publication.