
« Quand tu sais que tes élèves dorment dehors, parce que tu les vois arriver le matin avec des cernes énormes, les vêtements boueux, le cartable rongé par les rats, et que tu vois les mères de familles craquer en pleine réunion entre parents et profs, l’engagement en tant qu’instit est évident. Ce qui est anormal, ce sont les écoles où les instituteurs ne s’engagent pas. »
Allan n’a pas eu besoin cette année d’occuper l’école Gilbert Dru, dans le septième arrondissement de Lyon, où il est enseignant [1] : « La métropole et la préfecture ont tout de suite relogé les familles. Le rapport de force des années précédentes a fonctionné », se réjouit-il. Tandis que les ouvertures de squats et les réquisitions citoyennes se multiplient dans la métropole de Lyon (lire notre article), le mouvement d’occupations des écoles primaires se poursuit, comme chaque hiver depuis 2013, pour épargner la rue à des familles dont les enfants sont scolarisés.
70 élèves et leur famille mis à l’abri juste avant Noël
Une vingtaine d’écoles se sont mobilisées avant les vacances de Noël. Cinq d’entre elles ont été occupées la nuit, permettant à 70 élèves et leur famille d’être mis à l’abri par les services de la préfecture. Il n’existe pratiquement pas une école du Grand Lyon où parents et enseignants ne se soient organisés en collectif citoyen. L’ensemble de ces collectifs forme depuis 2014 le mouvement Jamais sans toit. (...)
« À Vaulx-en-Velin, à l’école de mes enfants, l’occupation avait déjà commencé en avril et a duré trois mois en tout, raconte Mélanie. On se relayait chaque soir pour assurer une présence aux côtés des trois familles que nous hébergions. Le week-end, on payait l’hôtel avec la caisse de solidarité. On a eu droit à un contrôle de papiers et à une tentative d’expulsion la seule nuit où il n’y a pas eu d’instit’. C’est comme si la présence d’instituteurs engageait, d’une certaine manière, la responsabilité de l’État. » Les enseignants, quant à eux, n’ont jusqu’alors pas subi de représailles, hormis quelques « tentatives d’intimidations de la part de la hiérarchie ».
« Pour les familles, explique Mickaël, professeur de math et syndiqué à la Confédération national du travail (CNT), dès qu’il y a un comité de soutien, une mobilisation, une mise en lumière, c’est toujours bénéfique. La préfecture est consciente qu’elle a tout intérêt à reloger ces familles, même si parfois elles sont déboutées. » (...)
la réquisition réclame « une organisation et un investissement énorme », Jamais sans toit a opté pour l’occupation de classes et de gymnases en dehors des heures de cours. Pour Raphaël, enseignant dans le 1er arrondissement à l’école Servet, « c’est plus pragmatique et ça permet de sensibiliser les habitants des quartiers. Et pour peu que la préfecture nous envoie la police, ça popularise encore plus notre lutte. »
Patrouilles de police devant les écoles pour... empêcher l’accueil
C’est le scénario qui s’est déroulé cet hiver. « Le maire de Lyon [Georges Képénékian (PS), ndlr] voulait mettre un terme aux occupations, raconte Allan. Du 20 novembre au 1er décembre, devant chaque école qui avait participé à un goûter solidaire, une patrouille de police, aussi bien municipale que nationale, était systématiquement postée ». « Nous avons joué au chat et à la souris, reprend Mathieu, enseignant, dont neuf élèves étaient à la rue. Chaque soir on occupait une école différente, ça les a usés. Ils ont fini par nous laisser faire. »
À ce jour, aucune des personnes hébergées suite aux mobilisations de Jamais sans toit cet hiver n’a été remise à la rue. (...)
Selon les recensements effectués sur l’ensemble des écoles de l’agglomération par le collectif, 120 élèves sont actuellement sans-abri. Sans compter leurs parents, leurs frères et sœurs. Sans compter non plus 120 autres mineurs isolés répertoriés par le Réseau éducation sans frontières (RESF) en décembre. Deux nouvelles écoles devraient être occupées dans les jours prochains pour pallier ces insuffisances en termes d’hébergements d’urgence.