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Mediapart
Des élèves de lycée pro ont dû travailler la nuit pour coudre les robes de Miss France
#educationnationale #lyceeProfessionnel
Article mis en ligne le 26 janvier 2023
dernière modification le 25 janvier 2023

Des élèves du lycée professionnel Octave-Feuillet ont travaillé jusqu’au bout de la nuit, plusieurs jours de suite, pour coudre les robes et chapeaux des Miss France à l’occasion du concours diffusé sur TF1 en décembre dernier. Alerté, le rectorat de Paris a dû intervenir.

La ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnelle, Carole Grandjean, a adressé sur Twitter un « immense bravo » à ces lycéennes qui ont fait « briller la voie professionnelle et les yeux des français (sic) ». Le recteur de Paris, Christophe Kerrero, en complément d’un message officiel de l’académie, a personnellement salué ces « merveilleuses créations, symboles du savoir-faire et de l’excellence à la française ». Les élèves, filmées au travail, ont également fait l’objet d’un reportage, diffusé sur TF1 après le concours. (...)

La direction du lycée elle-même a abondamment relayé l’évènement sur son compte Twitter, en concluant par la citation d’une élève déclarant avoir passé la « meilleure semaine » de sa vie à la confection de ces bikinis, capes chamarrées et coiffes ornées de plumes et de bijoux.

Le rectorat, de même que la médecine scolaire, avait cependant été alerté, cette même semaine de décembre, des conditions difficiles dans lesquelles ces costumes avaient été créés. Les élèves, mineures pour la plupart (voir notre Boîte noire en fin d’article), ont dû pour certaines travailler jour et nuit et dormir dans l’établissement, au mépris de toutes les règles encadrant la scolarité et le travail en lycée professionnel.

Ce que le rectorat de Paris, interrogé par Mediapart, ne dément pas (...)

Le vendredi avant la diffusion du concours sur TF1, « la directrice s’est vu sommée de ne plus faire travailler d’élèves la nuit au lycée », précise un membre de l’équipe pédagogique du lycée parisien. (...)

Selon plusieurs témoignages, le travail en atelier, partie intégrante de la formation en lycée professionnel, a en effet largement débordé le cadre habituel. (...)

Sous la pression, certaines craquent, pleurent, font des crises d’angoisse. Pour récupérer, elles doivent dormir, la tête posée sur leurs bras croisés, à même la table de l’atelier.

Interrogée, la proviseure du lycée renvoie vers le rectorat de Paris, qui confirme avoir, « dès qu’il a été prévenu de ces éléments », immédiatement pris « les dispositions nécessaires pour les faire cesser ». Des solutions d’hébergement à proximité, en établissement scolaire, auraient été proposées aux élèves engagées dans le projet.

Au-delà de la fatigue physique et psychologique, l’enjeu de sécurité est important, puisque l’établissement, appartenant à la Ville de Paris, accueille le soir des formations pour adultes, qui ne sont en aucun cas censés croiser des mineures sur les lieux.
Un enjeu de notoriété (...)

« Entre ce défilé, qui a lieu en novembre, et les Miss France mi-décembre, les élèves sont prises dans un étau maximal, une pression énorme, même si beaucoup sont très fières et contentes de participer à ces projets, raconte ce même membre de l’équipe pédagogique. (...)

L’entourage de Carole Grandjean affirme que la ministre n’avait pas « connaissance de ces conditions » de réalisation avant de tweeter son soutien. (...)

L’enjeu de notoriété pour les lycées professionnels est loin d’être anecdotique. Devenu au fil du temps et des réformes le parent pauvre de l’Éducation nationale, concurrencé par l’apprentissage dispensé par les centres de formation (CFA), l’enseignement professionnel traîne une réputation de « voie de garage », malgré la diversité de ses cursus.

Le rectorat de Paris explique, dans le cas d’Octave-Feuillet, soutenir la participation des élèves au projet Miss France pour « porter l’enseignement professionnel comme voie de réussite et d’excellence pour tous les élèves ». (...)

La volonté du président Emmanuel Macron, qui en a fait un sujet personnel, est d’augmenter encore le temps passé dans les lieux de travail en dehors du lycée et de coller davantage aux besoins et aux méthodes d’apprentissage des entreprises. Une nouvelle réforme en ce sens devrait être annoncée au printemps prochain, à l’issue d’une concertation lancée sous la houlette de Carole Grandjean. L’occasion, peut-être, de rappeler à tous que le Code du travail n’est pas une option.