
...Dans la polémique qui fait rage sur les projets du gouvernement visant à retirer la nationalité française à des délinquants d’« origine étrangère », la référence à Vichy surgit à tout bout de champ, comme si elle allait de soi. La déchéance de la nationalité n’a-t-elle pas été « l’arme du régime de Vichy ? », interroge le Nouvel Observateur. L’ancien résistant Stéphane Hessel voit dans les projets actuels « des prises de position inconnues depuis Vichy ». Michel Rocard, de son côté, évoque un retour à « Vichy et aux nazis » pour dénoncer le projet visant à condamner à des peines de prison les parents de mineurs délinquants car ce serait instaurer une mesure créant une « responsabilité pénale collective ».
La comparaison n’est certes pas complètement sans objet. ..
...Le 22 juillet 1940, il instaure une Commission de révision qui va examiner durant quatre ans près d’un demi-million de dossiers et retirer la nationalité française à un peu plus de 15.000 personnes. En proportion, les plus visés sont les Roumains, les Grecs, les Hongrois, les Autrichiens, les Espagnols, les Polonais, les Russes, sur des critères essentiellement politiques et ethniques, et marginalement liés à des questions de délinquance. ...
... Les dénaturalisations massives ont donc visé dans l’écrasante majorité des cas des citoyens parfaitement respectables n’ayant commis aucun autre « crime » que d’être nés ailleurs qu’en France et, pour la plupart d’entre eux, d’être nés juifs, une circonstance aggravante...
...À trop vouloir se référer à Vichy comme métaphore du mal français absolu –c’est la variante hexagonale de la reductio ad Hitlerum pointée par Leo Strauss dès 1950–, on se prive de voir à quel point les mesures visées s’inscrivent dans une tradition républicaine, à quel point les dérives actuelles dans les actes et les discours sont parfaitement compatibles avec un système républicain et n’ont nul besoin d’une dictature charismatique pour s’imposer : c’est bien là le danger majeur...
...Les mesures xénophobes actuelles du gouvernement s’inscrivent certes dans une longue filiation, dans une tradition française bien antérieure à Vichy.
...cette nouvelle xénophobie d’État s’inscrit dans un contexte qui n’est plus seulement national, une partie de ces mesures existant aujourd’hui dans d’autres pays européens ou en Amérique du Nord....
...il est inquiétant malgré tout de voir à quel point les héritages négatifs du passé ne constituent plus un frein dans la conscience collective contemporaine. ...