
Après la loi sécurité globale et la loi séparatisme, le gouvernement poursuit son offensive généralisée visant à museler toute opposition politique. Mercredi dernier, les trois fichiers de « sécurité publique » (PASP, GIPASP et EASP) ont été largement étendus par trois décrets (ici, ici et là). Ils permettront le fichage massif de militantes et militants politiques, de leur entourage (notamment de leurs enfants mineurs), de leur santé ou de leurs activités sur les réseaux sociaux. Malgré ses moyens limités, La Quadrature du Net n’entend pas se faire prendre de vitesse par cette offensive généralisée. Elle contestera ces décrets non seulement dans la rue, chaque samedi au sein de la coordination contre la loi sécurité générale, mais aussi en justice, devant le Conseil d’État.
Fichage généralisé des manifestants
Jusqu’à présent, les fichiers de renseignement de la police (PASP) et de la gendarmerie (GIPASP) ne concernaient que des personnes physiques considérées comme dangereuses par les autorités. Nouveauté importante : depuis la semaine dernière, les fichiers pourront aussi concerner des personnes morales ou des « groupements ». On imagine qu’il s’agira d’associations, des groupes Facebook, de squats, de ZAD ou même de manifestations.
Si une fiche est ouverte pour une manifestation, le PASP et le GIPASP permettent aussi de lister les personnes « entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites » avec ce « groupement ». Jusqu’à présent, les fiches du PASP et du GIPASP ne pouvaient lister l’entourage des « personnes dangereuses » que de façon succincte, sur la fiche principale de la personne dangereuse. Désormais, si la police le juge nécessaire, chaque membre de l’entourage pourra avoir une fiche presque aussi complète que celle des personnes dangereuses (activités en ligne, lieux fréquentés, mode de vie, photo…).
Ces deux évolutions semblent officialiser une pratique (jusqu’alors illégale) qui commençait à apparaître dans le rapport de 2018 précité
Fichage automatisé
Les trois décrets augmentent considérablement la variété et l’ampleur des informations pouvant être enregistrées. Sont visées les « habitudes de vie » et les « activités en ligne ». Dans son avis préalable, la CNIL souligne que « l’ensemble des réseaux sociaux est concerné », « les données sont à ce titre collectées sur des pages ou des comptes ouverts » et « porteront principalement sur les commentaires postés sur les réseaux sociaux et les photos ou illustrations mises en ligne ». Une forme de surveillance devenue monnaie courante à défaut d’être encadrée dans la loi, et d’autant plus dangereuse qu’elle peut facilement être automatisée.
Inquiète, la CNIL demandait à « exclure explicitement la possibilité d’une collecte automatisée de ces données ». Le gouvernement a refusé d’ajouter une telle réserve, souhaitant manifestement se permettre de telles techniques, qu’il s’est déjà autorisé en d’autres matières (voir notre article en matière de surveillance fiscale).
Opinions politiques et données de santé (...)
S’agissant des personnes considérées comme dangereuses, le fichier pourra désormais recueillir des données de santé supposées « révéler une dangerosité particulière » : « addictions », « troubles psychologiques ou psychiatriques », « comportement auto-agressif ». La CNIL souligne qu’il ne s’agira pas d’une information « fournie par un professionnel de santé [mais] par les proches, la famille ou l’intéressé lui-même ». Difficile de comprendre en quoi la police aurait besoin d’une telle variété de données aussi sensibles, si ce n’est pour faire pression et abuser de la faiblesse de certaines personnes.
Fichage des victimes et des enfants (...)
Encore plus grave : alors que, depuis leur origine, le PASP et le GIPASP interdisaient de ficher des enfants de moins de 13 ans, les nouveaux décrets semblent désormais indiquer que seuls les mineurs considérés comme dangereux bénéficieront de cette protection d’âge. Ainsi, en théorie, plus rien n’empêche la police d’ouvrir une fiche pour un enfant de 5 ans ou de 10 ans se trouvant dans l’entourage d’une personne considérée comme dangereuse ou parce qu’il se trouvait dans une manifestation qui a dégénéré.
Recoupement de fichiers (...)
Reconnaissance faciale
Autre nouveauté facilitant considérablement le recoupement des fichiers : les décrets prévoient que le PASP, le GIPASP et l’EASP participent non seulement à la sécurité publique, mais désormais aussi à la « sûreté de l’État », qui est définie comme recouvrant les « intérêts fondamentaux de la Nation ». Il s’agit d’une notion très large, que la loi renseignement de 2015 a défini comme couvrant des choses aussi variées que « les intérêts économiques et industrielles majeurs de la France », le respect des engagements internationaux pris par la France ou la lutte contre les manifestations non-déclarées et les attroupements. Un des intérêts de cette notion juridique est de donner accès aux photographies contenues dans le fichier TES, destiné à centraliser les photos de tout détenteur de passeport et de carte d’identité. Une fois obtenues, les photographies pourront être ajoutées au PASP ou au GIPASP et, pourquoi pas, aussi au TAJ, où elles pourront être analysées par reconnaissance faciale (dispositif que nous avons déjà attaqué devant les tribunaux).
D’ailleurs, les décrets de la semaine dernière ont pris le soin de supprimer la mention qui, depuis leur origine, précisait que le PASP comme le GIPASP « ne comporte pas de dispositif de reconnaissance faciale ». En lisant l’avis de la CNIL, on comprend que le projet initial prévoyait carrément d’ajouter un nouveau dispositif de reconnaissance faciale dans le PASP et le GIPASP, afin d’identifier automatiquement les fiches correspondant à la photographie d’une personne (...)
Conclusion
Alors que la loi sécurité globale autorise des techniques de captation d’informations en masse (drones et caméras piétons), ces trois nouveaux décrets concernent la façon dont ces informations pourront être exploitées et conservées, pendant 10 ans. Si, via la loi sécurité globale, tous les manifestants pourront être filmés en manifestation et que, via le fichier TAJ, une grande partie d’entre eux pourra être identifiée par reconnaissance faciale, le PASP et le GIPASP leur a déjà préparé une fiche complète où centraliser toutes les informations les concernant, sans que cette surveillance ne soit autorisée ni même contrôlée par un juge.
L’ensemble de ce système, aussi complexe qu’autoritaire, poursuit l’objectif décrit dans le récent livre blanc de la sécurité intérieure : faire passer la surveillance policière à une nouvelle ère technologique avant les JO de 2024. Nous préparons notre recours pour contester la validité de ces décrets devant le Conseil d’État et serons samedi 12 décembre dans la rue, comme tous les samedis désormais, pour lutter contre le fichage généralisé et la surveillance des manifestants.
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