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De nouveaux jours heureux ?
Article mis en ligne le 15 juin 2021

L’espoir d’une sortie de crise invite à s’interroger sur les politiques économiques à venir. Ce temps de reconstruction peut être l’occasion de mener des réformes ambitieuses, comme dans l’après-guerre, à condition que les efforts s’orientent vers les enjeux de notre temps, à savoir les inégalités de richesse et la crise environnementale.

La crise sanitaire s’apparente à une succession d’événements, pour certains attendus, relevant d’un surprenant manque de préparation : l’approvisionnement en masques après la destruction de la réserve stratégique, les nouvelles vagues épidémiques et désormais une campagne vaccinale aux début déroutant et à la dynamique encore incertaine. Le prochain défi, s’il ne nécessite pas de logistique aussi avancée, n’est malheureusement pas plus aisé, bien au contraire. Au lendemain de l’épidémie, c’est le redressement d’une économie déboussolée que le gouvernement devra affronter.
Relancer l’économie

Certes, des dispositifs d’urgence et de relance ont déjà été mis en place. Évalués à 7,6 % du PIB, ils manquent d’envergure au regard de nos voisins européens : 8,4 % en Allemagne, 9,1 % en Grande Bretagne et 11,1 % en Espagne1. Il s’agit bien entendu de mesures d’appoint, avec pour seul objectif de parer au plus urgent : une récession économique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, évaluée par l’Insee à 8,3 % pour l’année 2020, et singularisée par le ralentissement sinon l’arrêt des différents seteurs industriel et tertiaire.

Les politiques contemporaines ont amplifié la relance nécessaire et les besoins à satisfaire, trop soucieuses d’un bien-être collectif porté par l’effort individuel entrepris, et au détriment de l’État-providence. Le recul de la provision de bien public – à savoir le déclin du service des établissements hospitaliers, de l’éducation secondaire et supérieure, ou encore le manque de financement pour une recherche de qualité, dont l’incapacité à produire un vaccin au plus vite est un symptôme – manifeste une perte de solidarité nationale à la défaveur des plus démunis. Il s’accompagne d’un essoufflement du système de redistribution universelle, marqué ces derniers mois par l’accroissement des inégalités sanitaires et sociales des salariés à revenu modeste, dont certains en première ligne ont permis et permettent encore à la collectivité de faire face au virus. (...)

notre société devra savoir transformer ces errements économiques et sociaux à la faveur d’un renouveau du capitalisme. C’est précisément ce qu’a réalisé, avant la Libération, la charte économique et sociale du Conseil national de la Résistance (CNR), en rupture avec la crise de 1929 et les dysfonctionnements d’avant-guerre, au bénéfice d’un “Welfare Capitalism” et d’« un rééquilibrage du compromis social2 ».

De cette crise pourrait surgir une ambition économique renouvelée.

De cette crise pourrait surgir une ambition économique renouvelée, au-delà du retour au fonctionnement de l’économie encore récemment envisagé, et permettre d’entrevoir une réponse appropriée aux enjeux de la dernière décennie : la hausse des inégalités de richesse et le réchauffement climatique, dont on aperçoit désormais l’immensité des bouleversements qu’il suscitera sans être appréhendé au plus vite.
Fractures sociales

Les inégalités salariales et patrimoniales, considérablement réduites après-guerre, n’ont eu de cesse de s’accentuer ces cinquante dernières années3. L’accumulation de patrimoine et sa transmission sont probablement les échecs les plus emblématiques de la diversité de l’impôt, et son manque de progressivité. Les 1 % les plus aisés, principaux bénéficiaires du développement des marchés financiers dans les années 1980, retrouveront mécaniquement d’ici peu leurs capitaux investis4.

La crise sanitaire s’avère sans surprise au détriment des plus contraints (...)

La sortie de la crise sanitaire offre l’occasion de mettre en œuvre une politique fiscale novatrice, fondement d’un capitalisme raisonné, qui renouerait avec l’esprit et la sagesse du programme du CNR. Cette volonté d’une équité entre tous les contribuables conduirait à un impôt transparent et compréhensible, à la progressivité retrouvée et dont l’incidence s’étendrait jusqu’aux droits de succession6.
Make our planet great again

Si le réchauffement climatique avait été un enjeu de société au début du xxe siècle, il aurait probablement constitué l’une des lignes directrices du programme du CNR. L’État français a devancé son appel de juin 2017, “make our planet great again", en s’engageant dès 2015, suite à l’accord de Paris pour le climat, à réduire ses émissions à effets de serre de 40 % d’ici à 2030 et à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Il est vrai qu’il y a urgence, tant les prévisions s’assombrissent d’une année sur l’autre.

La trajectoire n’est malheureusement pas respectée pour le moment, le gouvernement ayant à nouveau reporté ses ambitions climatiques à la période 2024-2028. Pire, l’objectif de neutralité carbone, qui ne saurait être satisfait par le projet de loi Climat et résilience, est mis à mal par la méthode adoptée. (...)

Des mécanismes incitatifs, soutenus par des outils fiscaux adaptés et de nouvelles normes, permettraient à une industrie française ralentie d’adopter des choix d’acheminement, d’approvisionnement et de production à bas carbone indispensables à la transition énergétique et aux défis en attente. Un développement soutenu de la rénovation thermique des bâtiments et des énergies renouvelables, au détriment du nucléaire dont le coût ne cesse d’augmenter, la fin avancée des vols domestiques et des véhicules thermiques, envisagée en France pour 2030 contre 2025 en Norvège, en sont autant d’illustrations immédiates. Il s’agirait d’une orientation nouvelle de l’industrie française, un investissement judicieux au regard de la faible charge de la dette et de la croissance attendue des deux prochaines années, avant-garde d’un leadership retrouvé. (...)

L’issue est proche. Cette crise économique pourrait bien demeurer la simple conséquence d’un drame sanitaire. À moins qu’elle soit source d’une embellie de solidarité, d’une recherche d’un bien-être futur, départ d’un capitalisme raisonné à la mesure des enjeux économiques et climatiques de nos sociétés contemporaines. Ce renouveau viendrait compléter la liste des nombreuses avancées sociales éveillées aux lendemains d’épidémies. Aussi plaisante que soit l’idée de ces nouveaux développements, elle commande d’amorcer, de développer une réflexion collective en amont de la reprise économique tant attendue. Le programme du CNR, « Les jours heureux », diffusé au printemps 1944 dans Libération (édition zone sud), dan un contexte heureusement révolu, avait lui-même nécessité neuf mois pour aboutir à sa version finale, et s’était appuyé sur la créativité intellectuelle du moment, bien au-delà des frontières nationales.