
Apprendre aux futurs enseignants à transférer les connaissances issues de la recherche (CIR) dans leur pratique enseignante est un enjeu professionnel important. C’est l’objet d’un projet de recherche appliquée, l’Initiative d’excellence en Formations innovantes (IDEA) portée par l’Université de Paris-EST, et mise en œuvre actuellement dans les formations à l’enseignement proposées par l’ESPE de Livry-Gargan.
Pour les enseignants, être en capacité de transférer des CIR dans leur pratique professionnelle obéit à une double nécessité. La première est d’améliorer les performances du système éducatif français en termes d’équité. Selon les comparaisons internationales, la France est en effet le pays de l’OCDE où l’origine sociale des élèves pèse le plus dans leur trajectoire scolaire. La seconde nécessité, comme pour tout professionnel est de se donner les moyens de faire face aux transformations de la société grâce aux apports de la recherche scientifique.
Les travaux de recherche sur les transferts de CIR dans la pratique professionnelle, et en particulier chez les enseignants, ont pointé plusieurs difficultés . Nos propres observations permettent d’en souligner quelques-unes. Les étudiants en formation initiale se plaignent régulièrement, dans les études qui ont été menées à ce sujet, que les cours sont trop théoriques. Ce sentiment s’articule à une difficulté à faire le lien entre les savoirs théoriques et les situations professionnelles concrètes. (...)
A cet égard, des travaux en psychologie de l’expertise montrent que la différence entre les novices et les experts tiennent en particulier à la capacité des experts à transférer leurs connaissances théoriques dans la pratique professionnelle. Les experts sont davantage capables de repérer la structure du problème, et se laissent moins facilement duper par des effets d’habillage. Dans le cas des enseignants novices, cela se manifeste par une difficulté à percevoir, par exemple, qu’un problème rencontré par un enseignant avec un certain niveau de classe peut être le même que celui que rencontre un autre enseignant avec un autre niveau de classe, en dépit de différences importantes dans les données apparentes du problème.
Mais les difficultés liées au transfert de CIR dans le champ de l’éducation tiennent également au fait qu’il existe, en fonction des sous-champs scientifiques, des approches parfois divergentes : psychologie cognitive, neuro-sciences affectives, sociologie… De sorte que d’un point de vue scientifique, l’enseignant se trouve confronté à des situations qui engagent non seulement des questions d’efficacité cognitive, mais également des finalités axiologiques relatives à l’acte d’enseigner. Par exemple, quel part accorder aux processus d’apprentissage à l’école vis-à-vis de l’épanouissement socio-affectif des élèves ? (...)
La difficulté à relier savoirs théoriques et pratique professionnelle semble ainsi relever en particulier de deux ordres : d’un côté, les étudiants tendent à avoir une représentation initiale du savoir qui disjoint connaissances théoriques et pratiques professionnelles, de l’autre, ces difficultés tiennent à une caractéristique inhérente à l’état de novice, qui transfère moins aisément ces connaissances théoriques que l’expert. La formation initiale des enseignants doit donc comprendre un travail spécifique et explicite d’entraînement des futurs enseignants à ce transfert des CIR dans la pratique professionnelle. Les observations que nous avons pu mener à l’ESPE de Livry-Gargan montrent que les difficultés se situent à différents niveaux du processus : en amont, dans une représentation qui déconnecte théorie et pratique ; au niveau du processus d’analyse, dans une difficulté à s’approprier les connaissances scientifiques, à formuler des hypothèses d’action tirée de cette littérature ; et enfin, au niveau de la mise en œuvre, dans une difficulté à mettre en pratique en classe les hypothèses formulées. Chacun de ces moments constituent un hiatus qu’une formation explicite sur le sujet doit aider l’étudiant à combler.