
Une « parodie de procès ». C’est ce qu’a dénoncé, lundi 28 novembre, dans l’enceinte du tribunal de Niort (Deux-Sèvres), l’avocat Alexis Baudelin, lorsque la demande de renvoi a été refusée, qu’il avait déposée avec sa consœur Hanna Rajbenbach afin d’avoir le temps nécessaire pour préparer la défense des cinq prévenus.
Pendant qu’une foule militante s’était rassemblée devant le tribunal, l’audience s’est bel et bien maintenue, et le jugement est tombé en fin de journée, prenant tout le monde de court moins d’un mois après les faits : les prévenus – cinq hommes âgés de 25 à 65 ans – ont été condamnés à des peines de deux à trois mois de prison avec sursis, assorties d’une interdiction de venir dans le département des Deux-Sèvres pendant trois ans. Un périmètre très large et une durée particulièrement longue.
Ils sont condamnés pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou dégradations » lors de la manifestation qui s’est déroulée sur la petite commune de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, le 29 octobre dernier.
Ce jour-là, trois cortèges s’étaient dirigés vers le chantier d’une mégabassine agricole. Un groupe avait très brièvement pénétré à l’intérieur avant d’être aussitôt évacué par les forces de l’ordre. En marge de la foule pacifiste (4 000 personnes selon la police, plus de 7 000 selon les collectifs à l’origine de la mobilisation qui avait été interdite par la préfecture), ciblée à maintes reprises par des gaz lacrymogènes et des grenades de désencerclement, des affrontements avaient éclaté avec les 1 700 gendarmes et policiers déployés. (...)
Côté mobilisation, une soixantaine de personnes blessées ont été dénombrées, parmi lesquelles la députée Lisa Belluco (EELV), et six autres ont été hospitalisées. Le ministère de l’intérieur avait compté de son côté 61 gendarmes blessés, « dont 22 sérieusement ».
Sur les cinq dossiers jugés hier, cependant, il n’y a aucun cas avéré de violence exercée à l’égard des forces de l’ordre. (...)
Ce type de mégabassine, qui pompe l’eau des nappes souterraines pendant l’hiver pour arroser pendant l’été, se développe à tout-va en ce moment dans le Grand Ouest ; dans la Vienne, le préfet a lancé le 3 novembre un protocole pour en construire une trentaine. (...)
C’est pour faire venir à la barre des témoins – des scientifiques notamment – spécialistes de cette question de la gestion de l’eau ou de l’intérêt de la désobéissance civile, que la défense avait demandé le report du procès. Quatre prévenus ont par ailleurs fait une demande d’aide juridictionnelle et leur demande n’avait pas été traitée à l’heure où le procès s’ouvrait hier. Enfin, troisième raison de la demande de renvoi : l’un des prévenus, victime d’un tir de LBD et en arrêt de travail après six jours d’hospitalisation, ne pouvait pas lui-même se présenter à l’audience.
« Il y a là de toute évidence un empressement à faire des “exemples” afin de décourager tout un chacun·e de se rendre à des manifestations, pourtant suivies à chaque fois plus massivement [...], ont dénoncé les collectifs « Bassines non merci » et Les Soulèvements de la Terre dans un communiqué hier soir. Nous appelons à des réactions politiques rapides et protestations contre ce jugement inique qui met en péril le droit de manifester, et, au vu des réquisitions du procureur, prouve que le gouvernement Macron a définitivement décidé de s’asseoir sur les enjeux écologiques les plus urgents au bénéfice du lobby agro-industriel. »
La sévérité du jugement rendu à Niort n’est pas sans rapport avec les instructions répressives du garde des Sceaux, que Mediapart révélait il y a une quinzaine de jours. Dans une circulaire du 9 novembre, Éric Dupond-Moretti appelait précisément les parquets à « une réponse pénale systématique et rapide » contre « les infractions commises dans le cadre de contestations de projets d’aménagement du territoire », laquelle répondait – directement mais sans le dire – à la mobilisation de Sainte-Soline. (...)
Certains des prévenus ont d’ores et déjà décidé de faire appel.