
L’épidémie de Covid-19 frappe durement les plus précaires. Dans les foyers de travailleurs migrants, les facteurs de décès s’accumulent : vulnérabilité, promiscuité, maladies chroniques, renonciation aux soins… Face à cela, la réponse des bailleurs et des pouvoirs publics a été tardive et lacunaire
« Je viens d’apprendre la mort de Samba Top, le délégué du foyer des Grands-Pêchers à Montreuil », nous écrit Aboubacar Diallo, délégué du comité de résidents d’un foyer de travailleurs migrants à Saint-Ouen, géré par Adef. « Je suis triste, c’était un camarade de lutte, j’ai tout appris avec lui », ajoute-t-il au téléphone. Ce monsieur avait déjà de gros problèmes de santé, nous indique-t-on aussi.
Quelques jours plus tôt, la mort frappait dans son propre foyer. Un retraité algérien a été retrouvé, plusieurs jours après sa mort, dans sa chambre. Il s’appelait Ali Jil Bel Bagdadi. « Les pompiers sont venus et ont défoncé la porte, ensuite la police est venue et puis la morgue, le lendemain », raconte Aboubacar Diallo.
« La situation sanitaire était déjà préoccupante avant (la crise, ndlr). Si une épidémie se déclenche dans un foyer, ça risque d’être catastrophique », alerte le Dr Sébastien Bogajewski, membre de l’amicale des médecins de Montreuil. La suroccupation que connaissent certains foyers ainsi que la présence de cuisines et sanitaires collectives pourraient être des facteurs de propagation.
Adef a quand même dépêché un agent… pour encaisser les loyers (...)
A Saint-Ouen, Aboubacar Diallo se retrouve démuni face à la crise. « Je ne peux même pas aller faire du porte-à-porte puisque je n’ai ni gants ni masque », s’inquiète-t-il. Lui-même a été atteint du Covid-19. Il raconte : « J’ai frôlé la mort. J’ai passé deux semaines dans ma chambre, je pouvais à peine me lever, j’étais coupé du monde ». Le médecin qu’il a eu au téléphone lui a déconseillé de se rendre aux urgences, lui prescrivant pour seul remède du Doliprane. « Je n’arrivais pas à respirer, j’avais l’impression qu’on m’enfonçait des coups de poignards dans le torse, c’était terrible », décrit-il. (...)
Depuis plusieurs jours, Aboubacar Diallo interpelle tous azimuts : la mairie, la préfecture et bien sûr le gestionnaire du foyer, l’Adef. « Ils n’ont rien fait du tout, et vendredi ils ont envoyé quelqu’un pour encaisser les loyers. C’est de la provocation ! », fulmine-t-il. A l’heure actuelle, c’est lui-même qui négocie une intervention médicale auprès de Médecins du monde. Seules des associations, comme le collectif des Gilets noirs, sont passées ces derniers jours pour apporter des denrées alimentaires et des produits d’hygiène.
35 foyers en Seine-Saint-Denis et une gestion critiquable
« Il y a des malades ici et une centaine de personnes âgées, il faut faire quelque chose ! », alerte-t-il. Contactée à ce sujet, l’Agence régionale de santé nous assure que le déplacement d’une équipe mobile sur le foyer de Saint-Ouen est prévu et précise que « le patient en question n’est pas, à la connaissance de l’ARS, décédé du Covid-19, et présentait une situation médicale compliquée ». Contacté par le BB, Adef n’a pas répondu à nos questions à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Selon les chiffres officiels, la France compte aujourd’hui 142 foyers de travailleurs migrants qui accueillent environ 110 000 résidents. Au moins une trentaine de ces foyers est suroccupée. (...)
S’il existe plusieurs gestionnaires comme Adef ou Coallia, le plus connu est Adoma, anciennement Sonacotra. (...)
Cet habitat s’est rapidement dégradé. Des règles abusives et infantilisantes auxquelles étaient soumis les résidents ont créé de fortes tensions avec les gestionnaires. (...)
Les foyers de travailleurs migrants sont progressivement transformés en résidences sociales pour assurer un logement décent notamment pour les résidents âgés. Mais un grand nombre d’entre eux sont toujours dans un état de délabrement indigne. (...)
Malgré le Plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM), il reste environ 150 foyers à rénover. Certains comptent des chambres de 7,5 mètres carré, (...) Des chambres donc parfois plus étroites que des cellules carcérales. Des pièces exigües où le confinement est intenable.
Si la situation est déjà critique, elle entraîne dans son sillon une multitude de complications. (...) « En temps normal déjà, les moyens ne sont pas mis pour les accompagner et avec le confinement, il y a un repli sur soi qui est terrible. Pour eux, le logement c’est un endroit dans lequel on dort, c’est tout » (...)
La défiance envers le gestionnaire est telle que certains craignent aussi l’instrumentalisation de cette crise pour procéder à des expulsions dans les foyers en suroccupation. Des inquiétudes remontent également concernant les loyers. Il y a déjà la difficulté de faire des paiements en ligne, la peur que les chèques envoyés soient encaissés trop tard et l’impossibilité même de régler les redevances pour ceux qui ont perdu leur emploi. (...)
Le confinement et les gestes barrières sont quasi-impossibles à respecter vu l’état de certains foyers. (...)
Au foyer Edouard-Branly, toujours à Montreuil, « ça se passe difficilement, tous les espaces communs ont été fermés, les cuisines, les sanitaires, ils nous prennent pour des animaux », s’énerve Moussa Doucouré, président de l’amicale des Maliens de Montreuil. Ici la fermeture des cuisines a eu l’effet pervers de provoquer des rassemblements autour des espaces cafétéria présents à chaque étage.
Les cuisines collectives ont un rôle important puisqu’elles produisent des repas à moindre coût pour les résidents. En cette période d’épidémie où certains ont perdu leur emploi, ce n’est pas négligeable. (...)
Les problèmes liés à la gestion des foyers de travailleurs migrants ne sont pas une nouveauté mais cette crise, comme partout ailleurs, aggrave encore la situation. En Seine-Saint-Denis, on dénombre 8 décès, 37 cas de suspicion Covid-19 et 22 cas avérés pour les seules structures Adoma, selon leurs propres chiffres communiqués le 10 avril. Une situation probablement vouée à s’aggraver si des moyens supplémentaires ne sont pas rapidement mis en œuvre.