Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
« Dans les affaires de violences policières illégitimes, la justice fonctionne très mal »
Article mis en ligne le 19 août 2020
dernière modification le 18 août 2020

L’avocat Yassine Bouzrou défend des familles de personnes tuées par les forces de l’ordre, ainsi que des gilets jaunes blessés. Au fil des affaires, il constate de graves dysfonctionnements : criminalisation ou disqualification post-mortem des victimes, instructions peu rigoureuses, expertises médicales contestables... Entretien.

Les magistrats instructeurs ne vont pas au bout des investigations. Je pense notamment aux reconstitutions, très importantes en la matière : les magistrats les refusent quasi systématiquement. Ces refus sont malheureusement confirmés par les cours d’appel. Dans l’affaire Adama Traoré [jeune homme de 24 ans décédé entres les mains des gendarmes lors d’une interpellation violente en juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise, ndlr], les juges l’avaient autorisée mais la reconstitution n’a jamais été réalisée [2]. Les juges refusent aussi d’entendre certains témoins. Ce n’est pas normal, on doit pouvoir connaître la vérité dans tous les dossiers. La France a été condamnée à plusieurs reprises pour ce manque d’effectivité de l’enquête [3].

La deuxième difficulté est la communication erronée, parfois mensongère développée par les procureurs ou les préfets. (...)

Pour Mme Zineb Redouane [octogénaire décédée dans son appartement marseillais en décembre 2018, à la suite d’un tir de grenade lacrymogène par un CRS, ndlr], le procureur de Marseille a osé affirmer face aux médias qu’il n’y avait pas de lien entre la grenade et le décès. Pour dire une chose pareille, il faut non seulement ne pas savoir lire correctement un rapport d’autopsie et ensuite faire preuve d’une mauvaise foi extraordinaire. Je trouve étonnant de la part d’une aussi haute autorité judiciaire de dire des choses si éloignées de la réalité. Ce sont des méthodes que l’on voit souvent. (...)

En l’absence d’éléments objectifs et certains sur les raisons de décès, beaucoup de gens, à ce stade, préfèrent prendre position pour les forces de l’ordre. Même si juridiquement, ça ne tient pas la route, le plus important est de dégainer et de mettre le doute. Calomniez ! Calomniez ! Il en restera toujours des traces, même des années après. Ensuite, c’est très compliqué de rétablir la vérité. (...)

Parmi ces dysfonctionnements, il y a les qualifications juridiques très basses choisies par la justice. Par exemple, lorsque le parquet ouvre une enquête simplement pour violence volontaire aggravée, alors que perdre un œil constitue une infirmité permanente. Je vais même aller plus loin : pour les personnes que je défends qui ont perdu un œil suite à un tir de LBD, je porte systématiquement plainte pour tentative d’homicide volontaire. À partir du moment où le policier vise le visage en connaissance de cause, sachant que ces armes-là peuvent tuer à une certaine distance, c’est une tentative d’homicide. Ce raisonnement juridique est totalement logique. C’est tellement vrai que le parquet, qui fait preuve de précaution en cas de blessures de gilets jaunes, a ouvert une enquête pour tentative d’homicide volontaire lorsqu’une magistrate a été visée par un tir de LBD au visage (...)

Le décalage que je constate entre la manière de faire des investigations dans un dossier normal et celui de soupçon de violences policières illégitimes est tellement éloigné que n’ai pas d’explication objective à donner. Je côtoie des magistrats instructeurs d’une grande qualité dont les instructions deviennent misérables dans ce type de dossier, avec des enquêtes d’un niveau comme on en voit rarement, refusant tout acte d’investigation élémentaire… Malheureusement, je n’ai pas de propositions concrètes pour améliorer les choses. Peut-être des sanctions plus lourdes à l’égard des policiers reconnus coupables, et arrêter de féliciter ou d’accélérer la carrière des acteurs judiciaires de mauvais niveau.

L’énorme difficulté est que la défense de policiers soupçonnés de violences illégitimes est très ambitieuse : elle consiste à affirmer, grâce à des experts de mauvaise qualité, que le décès ne résulte même pas du comportement policier. (...)