
Le 21 novembre, Mohammed N. a été blessé par un projectile de LBD, à Tourcoing. Il affirme que les policiers l’ont délibérément visé, puis menacé alors qu’il voulait se rendre à l’hôpital. Deux enquêtes ont été ouvertes : l’une judiciaire, l’autre administrative.
Depuis que les salles de sport sont fermées, Mohammed N. s’astreint à faire 10 000 pas par jour, « pour l’amaigrissement ». Cet Algérien de 43 ans, employé dans le bâtiment, vit dans un quartier prioritaire de Tourcoing (Nord) avec son épouse et leurs quatre enfants de deux, neuf, quatorze et seize ans. Une petite maison, dans une rue « tranquille ».
Avant l’entrée en vigueur du couvre-feu national, mi-décembre, il avait pris l’habitude d’aller marcher seul après le dîner, en fonction du nombre de pas qu’il lui restait à faire. Le soir du 21 novembre 2020, le confinement est encore en vigueur. Il remplit son attestation de promenade sur son téléphone et sort de chez lui à 21 h 20. Cent mètres plus loin, il est blessé au flanc droit par un tir de lanceur de balles de défense (LBD). Le parquet de Lille a ouvert une enquête. (...)
Samia N., son épouse, a entendu les feux d’artifice et les détonations depuis la maison. Elle s’est approchée de la porte. Son mari arrive quelques secondes plus tard et lui montre l’endroit où il a été touché. Sur ses conseils, il appelle police-secours pour demander la marche à suivre. L’agent lui recommande de se rendre aux urgences, à moins de dix minutes en voiture. Seule sa femme a le permis de conduire : elle met son manteau pour l’accompagner.
Mais lorsque le couple ouvre la porte donnant sur la rue, les policiers se trouvent à quelques mètres, devant le portail. Ils leur intiment l’ordre de rentrer. Mohammed N. explique aux fonctionnaires qu’ils l’ont blessé et qu’il doit se rendre à l’hôpital. « Là, un des policiers m’a braqué avec le LBD et m’a dit : “Tu rentres, parce que la prochaine, elle sera dans ta gueule.” »
Samia, 38 ans, reconnaît s’être « énervée » en entendant cette menace. « Je leur ai dit : “Vous n’êtes pas bien, vous avez tiré sur un père de famille”. Ils n’ont pas répondu. » Craignant que l’agent ne « tire sur [sa] femme », Mohammed N. la ramène à l’intérieur.
Il compose à nouveau le 17, explique la situation à un agent agacé qui lui suggère d’appeler le 15 ou le 18. Le médecin du Samu lui confirme qu’il doit se rendre par ses propres moyens à l’hôpital et lui remet un numéro de dossier, « en cas de contrôle ». Quand Mohammed N. et sa femme sortent à nouveau, quelques minutes ont passé et les policiers sont partis. Ils se rendent sans encombre aux urgences, où un médecin écoute son récit, constate sa blessure et l’oriente vers le service de médecine légale en vue d’un dépôt de plainte.
En rentrant chez lui, Mohammed N. fait quelques recherches sur Internet et découvre l’existence de la plate-forme de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), à laquelle il adresse un signalement. Dès le lundi, l’IGPN le recontacte pour demander des précisions, puis l’informe qu’un service de police lillois prendra le relais.
Le 24 novembre, l’unité médico-judiciaire du CHU de Lille relève une ecchymose de 22 cm sur 9,5 cm, « compatible avec les faits allégués », et lui attribue trois jours d’incapacité temporaire de travail (ITT). Elle constate aussi ses « troubles du sommeil », son « angoisse » et son « incompréhension » de ce qui lui est arrivé.
« Je me sentais humilié, raconte Mohammed N. Je tremblais, je pleurais. Moi, le gars de 43 ans qui n’a jamais eu de problème avec personne, je me retrouve du jour au lendemain une cible de la police, on me tire dessus. Je n’avais plus envie de sortir de chez moi. »
À la suite de son signalement sur la plate-forme de l’IGPN, le parquet de Lille a ouvert une enquête préliminaire pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, confiée à la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Nord. (...)
En parallèle de l’enquête pénale, la Direction générale de la police nationale (DGPN) confirme avoir ouvert une enquête administrative, pouvant déboucher sur des poursuites disciplinaires. Ni le parquet, ni la DGPN n’ont souhaité préciser à quelle unité appartiennent les policiers intervenant ce soir-là.
D’après les informations de Mediapart, ces fonctionnaires déployés pour remédier à des violences urbaines ont justifié leur tir par la présence d’un « individu vêtu de noir » à l’attitude « menaçante », qui s’avançait vers eux en dissimulant ses mains. (...)
Quelques jours après les faits, un voisin de Mohammed N., qu’il ne connaissait pas, s’est manifesté auprès de lui. Il a vu toute la scène et se dit prêt à témoigner. Les enquêteurs de Lille l’ont également sollicité pour qu’il livre sa déposition. (...)
Malgré la « menace » qu’il semblait représenter, les policiers n’ont pas jugé bon d’interpeller Mohammed N. ce soir-là. Ni de s’enquérir de son état de santé.