La gigantesque usine Syngenta est la voisine encombrante des habitants d’Aigues-Vives, dans le Gard. Premier employeur du secteur ainsi qu’épée de Damoclès environnementale et sanitaire, le lieu qui produit pesticides et herbicides par millions de litres reste entouré d’une aura de secret.
À Aigues-Vives, petite commune en plein boom du sud du Gard, on s’est habitué au silence. Les tours blanchâtres et décrépies de l’usine, le ballet des camions-citernes et les rangées de cuves ont beau en effrayer beaucoup et cacher des secrets, personne n’en parle. La presse locale s’était bien fendue de quelques lignes à la suite de la catastrophe de Lubrizol, mais guère plus. « C’est un gros employeur du coin, donc les gens n’en disent pas trop de mal. Mais, forcément, on n’aime pas vraiment ce qu’ils font. C’est devenu une sorte de tabou », résume un ancien de la commune.
Cette usine, c’est celle de Syngenta, le géant suisse de l’industrie phytosanitaire. Vingt-cinq millions de litres d’herbicides, pesticides et fongicides en sortent chaque année. Des milliers et des milliers de bidons blancs et verts destinés aux champs des agriculteurs français, ukrainiens, sud-africains... « Des médicaments pour les plantes », répètent comme un mantra les salariés et retraités de la boîte, sans conviction et avec un petit sourire qui en dit longhttps://reporterre.net/Dans-le-Gard-la-delicate-cohabitation-avec-un-geant-des-pesticides (...)
« C’est des produits nocifs donc ça paye bien, il y a des primes. Mais quand tu es là-dedans, tu sais que tu fais des saloperies. Faut pas se voiler la face, tu le sais. Tu as une combinaison et un moteur dans le dos pour t’aider à respirer, c’est pas pour rien. » Quant à la suite du voyage des bidons et à la façon dont les produits sont utilisés par les agriculteurs, on n’y pense pas, ou peu. « Normalement, ils sont formés pour les manipuler comme il faut. Mais on devine comment ça se passe sur le terrain... » (...)
« Au début, on ne savait pas. On rejetait direct à l’égout. On plongeait le bras jusqu’au coude pour récupérer des échantillons. Sur le coup, ça ne faisait pas mal alors bon... », soupire Robert Pistilli, employé pendant une trentaine d’années dans les laboratoires de l’usine. De là à faire un lien avec son cancer du poumon, il n’y a qu’un pas que le retraité se promet de ne jamais franchir.
Découverte après découverte, la sécurité est devenue la règle d’or. Formations, combinaisons étanches, masques respiratoires... « Je pourrais très bien dire que ce sont des cons qui font du sale boulot et qui polluent les nappes phréatiques, mais à Aigues-Vives, c’est pas ça ! Ce sont des gens très responsables. On ne fait pas n’importe quoi », insiste un employé (*). L’usine traîne pourtant quelques casseroles. La plus lourde : une fuite accidentelle de métolachlore, pesticide interdit en France depuis plus de quinze ans, identifié en 1992 dans le captage d’eau potable de la commune voisine. Syngenta et les riverains en payent toujours les frais.
Depuis, tout semble rouler. Syngenta poursuit ses affaires et la mairie se garde de faire trop de bruit à son sujet. (...)