
Pour Natacha Wolinski, la mort violente de son père, le dessinateur Georges Wolinski, recompose le paysage de son intimité.
Le dessinateur satirique Georges Wolinski a été assassiné le 7 janvier 2015 à Paris lors de l’attentat contre Charlie Hebdo. En écrivant ce livre, Son éclat seul demeure, sa fille, Natacha Wolinski, poursuit le lent cheminement d’une rencontre intime des mots, les siens, avec celui que la mort a réduit au silence, malgré l’effervescence médiatique : son père.
Commémorer ou sortir du temps
La mort emporte avec elle les discours – ceux qui expliquent et portent du sens. Absurdité de la mort. Abruptement elle efface tout. C’est la mort d’un père, un assassinat. Déjà son propre père à lui avait été tué par l’un de ses ouvriers. Il avait deux ans alors. Puis c’est la mère de Natacha qui meurt à son tour dans un accident automobile. Natacha Wolinski a quatre ans. Double silence de son père.
À ce silence, elle répondra par son silence. Erreur de perspective. Sur ce qui se dérobe, fuit, il faut « mettre des mots », finit-elle par dire. Sinon c’est la rupture, l’esprit de vengeance, la perte de soi. (...)
Difficile moment que celui de la cérémonie où l’officiel prend le dessus sur l’intime. Difficile aussi la présence de tous à la crémation du corps où la famille décomposée est observée dans ses moindres gestes. Mécaniquement, elle prend la pose qui s’impose au seuil de la cérémonie. Ce père mort et gisant, elle a eu le plus grand mal à le reconnaître mais en le voyant privé de vie, elle se range à l’évidence de sa mort. Il peut occuper un lieu dans sa mémoire, continuer à vivre dans son monde, tisser les liens qui font d’elle ce qu’elle est. Le mort n’est pas le disparu. Il est présent dans son absence. C’est cela le temps du souvenir, un temps qui ne recouvre pas nécessairement le temps du chronomètre. Le temps y est réversible. On peut faire retour sur... (...)
Puissance créatrice de soi du souvenir
La mort n’est plus alors à comprendre comme un manquement, voire une défaite, mais au contraire comme un moment de complétude d’une identité jusqu’alors inachevée, moment où s’instaurent le passage et la transmission filiale. Si le corps du mort se pétrifie derrière un masque de cire, le passé de l’individu ne s’éteint pas pour autant. Le livre de Natacha Wolinski est le lieu de cette intime rencontre avec l’être dans son absence qui devient ainsi présence. (...)
Paradoxalement la mort rassemble, recompose ce qui était épars. « Tu éclaires ma voie », conclut Natacha Wolinski, s’adressant à son père. Il est là dans la durée et l’accompagne.