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Dans l’éducation nationale, des postes sont supprimés massivement au profit des heures supplémentaires.
Article mis en ligne le 2 février 2020

Je suis un prof un peu atypique. J’ai passé le concours à 50 ans, vu que je ne trouvais plus de travail ailleurs, d’une part et que c’était ce que je voulais faire quand j’étais jeune d’autre part. Mais à l’époque les concours étaient quasiment fermés. Aujourd’hui j’ai 64 ans passés. Je ferai encore une année l’an prochain car en septembre je passe au 7ème échelon et mon salaire va donc enfin augmenter d’une manière un peu significative. Ma retraite sera donc meilleure et je devrais dépasser un peu le SMIC. Cool !

Actuellement, je fais donc18 heures de cours, multiplié par environ 1.5 = 36 + 9 = 45 heures par semaine. Dans ma matière ce n’est pas une blague. Une collègue est absente, a été remplacée par une collègue enceinte qui est devenue absente et j’ai pris 2 heures sups pour que mes anciens élèves ne restent pas sans cours du tout. J’ai aussi hérité d’un mètre linéaire de copies à corriger. C’est fatigant. De plus j’ai hérité aussi d’un niveau que je n’ai jamais préparé depuis la réforme du collège.

La dotation horaire globale vient de tomber dans les établissements. Une classe est supprimée (les élèves vont être bien nombreux par classe sur ce niveau). En français cela revient à 4h30 en moins. Mais un poste fixe est supprimé (18 heures). On nous le remplace par un poste partagé entre deux établissements, pour, si j’ai bien compris, 10h30 par semaine. Chaque professeur restant devra faire chaque semaine 2 heures supplémentaires (oui, je sais, les calculs ne tombent pas juste, c’est toujours un peu bizarre. Nous avons tout de même quelques heures de plus pour faire un peu d’aide). En effet, les postes fixes sont en fait remplacés cette année encore plus par des heures supplémentaires. Les professeurs gagneront donc plus, comme promis par le gouvernement, en travaillant plus, comme annoncé par un célèbre président précédent. En revanche, ils ne seront pas augmentés, alors que le point, à part un léger dégel d’un an, est bloqué depuis quelques lustres. Ils auront aussi le droit de mourir dans une classe. (2 h = faites le calcul, je fatigue).

Ma retraite n’en sera que meilleure. J’espère pouvoir en profiter un peu dans un état de santé acceptable. Je connais des cas un peu semblables où les collègues sont morts d’un cancer, par exemple, juste après être partis. Je n’ai pas peur, mais je trouve cela injuste ! pas sympa, etc.

Je vais développer en soulevant un autre problème : celui des tiers (comme on dit je crois) qui s’occupent d’enfants malades, au hasard. Ce fut mon cas. Ma retraite est pourrie parce que je me suis occupée d’un enfant (le mien) qui avait la mucoviscidose. La CAF m’a bien octroyé des trimestres, ce qui me permet d’avoir « une carrière complète », c’est rassurant. En revanche, derrière ces trimestres, il n’y a pas un kopek, ni un penny, ni un centime, que soit de franc ou d’euro. C’est moins bien. Je suis donc en train de récupérer quelques sous en restant au poste. Heureusement pour tout le monde, je suis bien entendu très contente d’être au contact de jeunes tout à fait vivants, normalement détestables et réjouissants à la fois.

Il faut conclure. Ça ne s’arrange pas. Le prévisionnel de retraite que j’avais fait il y a une douzaine d’année ne colle plus du tout. (...)

Le grands legs des gilets jaunes, à mon avis, outre l’idée de leur courage, est qu’ils ont ouvert la parole. Ça continue avec le mouvement de cette année. Vive la parole, pourvu que ça continue.