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Cultiver sur des marais pour les protéger ? En Allemagne, ça marche
Article mis en ligne le 24 juillet 2022

Une poignée d’agriculteurs allemands ont arrêté de drainer l’eau de leurs marais. Ils cultivent en zones humides, sur les tourbières. Sebastian Petri, paludiculteur dans le Brandebourg, est l’un d’entre eux.

Là où, en hiver, l’eau déborde des fossés et où les teintes du paysage tirent dans les verts foncés, les rayons du soleil de juillet écrasent désormais la végétation et jaunissent les bords de route.

Ce n’est qu’en arrivant aux abords de la ferme de Sebastian et Juliane Petri que l’air se rafraîchit. Devant leur portail, des lentilles d’eau flottent à la surface d’un large fossé encore rempli d’eau. Une exception à Kremmen. « Si je compare les niveaux d’eau avec mes voisins, j’ai bien un mètre de plus dans mes canaux », dit Sebastian. Une grenouille saute dans les lentilles. « Il y en a quelques-unes qu’on entend le soir, mais aujourd’hui moins que lorsque j’étais plus jeune. »

Traditionnellement, les fossés qui bordent les prairies forment un réseau de canaux de drainage reliés à une pompe pour assécher les sols. Cet assèchement permet de faire pousser de l’herbe de pâturage pour nourrir des vaches laitières... mais dégrade le sol qui part littéralement en poussière. « Chaque année, le marais perd un à deux centimètres à cause du drainage ou de la sécheresse », résume Sebastian. (...)

Le couple a donc décidé de boucher certains de leurs canaux pour garder l’eau dans leurs parcelles et pratiquer la paludiculture. L’exploitation de la famille Petri reste un cas particulier en Allemagne où seuls 4 % des marais sont encore humides. (...)

Les zones humides sont pourtant capitales : les tourbières représentent à peine 3 % des terres émergées mais stockent environ 30 % de la totalité du carbone des sols mondiaux. (...)

Après des études d’agronomie à Berlin et une première expérience dans la région de Ravensburg, sa femme et lui ont décidé en 2015 de revenir dans le village de son enfance. Avec l’intention de pratiquer une agriculture différente que celle qu’il a connue : une culture de foin sur prairie humide, sans aucun intrant. La tourbe de marais ne permet pas de faire pousser d’autre culture. (...)

À Moorhof, Sebastian et Juliane produisent donc du foin pour chevaux. En plus de cette activité, le couple élève des buffles des marais. (...)

La paludiculture face à la pénurie d’eau

Selon le Deutscher Verband Landschaftspflege (DVL e.V.), l’association allemande de protection des paysages, il existe en Allemagne six exploitations paludicoles. Toutes moissonnent l’herbe de leurs terrains marécageux et font de l’élevage extensif. Chez plusieurs, une partie de l’exploitation est même dédiée à la protection d’espèces sauvages. (...)

Cependant, la tâche se complique : chaque année, l’eau manque un peu plus. Le Brandebourg subit actuellement une période de sécheresse intense. Sebastian s’inquiète pour son exploitation avec une pénurie d’eau devenue saisonnière. Il subit, chaque année depuis 2018, un déficit de précipitations au printemps et en été. (...)

Et les conséquences sont palpables. « En deux semaines, nous avons perdu 20 centimètres d’eau dans nos canaux », décrit Sebastian. (...)

La sécheresse a le même effet que le drainage pour la tourbe qui constitue la couche organique du sol des marais : « Lorsque l’eau dans le sol n’arrive plus à moins de 30 centimètres de la surface, la tourbe sèche et entre en contact avec l’oxygène. Et donc, elle se dégrade en libérant du CO2 » explique Sebastian.

La dégradation de la tourbe engendre sa disparition : il ne reste actuellement, selon Sebastian, qu’une couche de 70 centimètres de tourbe dans le luch. En dessous : un sol calcaire. Toute culture serait impossible si celui-ci venait à affleurer. (...)

Au-delà de la nourriture animale, les hautes herbes récoltées par la famille Petri peuvent aussi être transformées en matériau. Pour fabriquer du papier ou un ersatz de panneau de bois compressé par exemple. Un secteur de niche : « Le problème, c’est qu’on entre dans un marché qui est déjà établi. Donc, on doit fournir une matière première capable de concurrencer les produits déjà là. » La quantité de matière produite à l’échelle d’une seule ferme n’est pas suffisante pour une transformation industrielle. Seules les politiques peuvent agir en subventionnant la paludiculture, estiment les deux agriculteurs.