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Covid-19 : mais où est donc passé le « plan massif » pour l’hôpital promis par Macron ?
Article mis en ligne le 9 octobre 2020

Spoiler : depuis la première vague, et malgré le Ségur, l’hôpital public n’a pas plus de moyens, pas plus de lits, pas plus de personnel... au contraire !

25 mars 2020. La France est confinée. Elle ne le sait pas encore, mais d’ici quelques semaines, le Covid-19 fera plus de 30.000 victimes dans le pays. Emmanuel Macron se rend alors à Mulhouse, en visite à l’hôpital de campagne déployé en soutien pour faire face à l’afflux de malades. L’hôpital public, lui, est sous l’eau. Le président de la République se veut intransigeant : quelques jours seulement après son fameux discours du « quoi qu’il en coûte », il annonce un « plan massif » pour l’hôpital :

« L’engagement que je prends ce soir pour eux et pour la nation toute entière c’est qu’à l’issue de cette crise un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital. C’est ce que nous leur devons, c’est ce que nous devons à la Nation. Cette réponse sera profonde et dans la durée. » (...)

À l’époque, peut-être étions-nous trop occupés à applaudir les soignants à 20h. Trop focalisés sur les manques criants de moyens – masques, tests, etc. – nous nous sommes retrouvés soudainement noyés sous les annonces qui suivirent cette crise : depuis, nous dit-on, on teste à grande échelle. Depuis, tout le monde porte un masque, presque partout, tout le temps. Depuis, on ferme des bars, des restaurants, des salles de sports ou des piscines. Il faut serrer la vis pour éviter la deuxième vague – enfin, pour faire en sorte que les services hospitaliers encaissent le choc.

Et nous avons détourné notre attention de l’hôpital public. Qu’en est-il six mois plus tard ? A-t-on retenu les leçons du printemps et fait en sorte que l’hôpital public soit mieux préparé à une situation si extrême ? La réponse est, sans équivoque possible, non. C’est même tout le contraire.

Une vague et tout part à vau-l’eau (...)

« La situation est alarmante. Les hôpitaux font face à une pénurie grave de personnels, au point qu’on voit des lits se fermer dans des services où ça n’était jamais arrivé avant, et ceci simplement par manque de personnels. Ce n’est pas une volonté des directions pour le coup, elles sont complètement démunies. C’est clairement pire qu’au moment de la première vague », constate Agnès Hartemann, cheffe du service diabétologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Pour ce qui a trait à la situation sanitaire, si la crise n’est pas (encore ?) au niveau du mois d’avril, les hospitalisations s’intensifient – (...)

Nous avons donc aujourd’hui un hôpital avec moins de moyens et moins de personnels qui doit à la fois gérer les « affaires courantes » et une nouvelle vague de Covid. Tout va bien.

La vérité sort de la bouche des fusibles

Christophe Lannelongue. Ce nom ne vous dit rien ? Et pourtant, on en a parlé de ce monsieur au printemps dernier ! Il était directeur de l’ARS Grand-Est et il avait notamment déclaré, en pleine crise : « Il n’y a pas de raison de remettre en cause le Copermo pour le CHRU de Nancy [...] La trajectoire reste la même. » Le « Copermo », c’est un plan de restructuration qui consistait à supprimer 174 lits et de 598 emplois sur cinq ans. Pour avoir dit cela, Christophe Lannelongue a sauté. Il fut le fusible de la crise. (...)

Une continuité politique qu’André Grimaldi, professeur de médecine à la Pitié-Salpêtrière, redoute aussi : « Il n’y a pas de moratoire sur les projets hospitaliers qui fermaient des lits. Ce qu’on a reproché au directeur de l’ARS du Grand-Est, c’est d’avoir vendu la mèche trop tôt. Mais ça continue partout. Or, des lits, c’est du personnel. On ne forme pas une infirmière de réanimation en 15 jours, ou alors on fait de la médecine de guerre comme on a fait pour le Covid. Ça va une fois, mais ça n’est pas une solution. Il faut remettre en cause une politique qui est suivie depuis plus de dix ans. »

Cette situation déplorable, les soignants la dénoncent depuis plusieurs années. (...)

. Le 27 septembre, Olivier Véran ose ce commentaire : « Nous payons des années de sous-effectifs, de réduction des budgets. Je sais que les soignants sont fatigués ». Les tenants de l’austérité auraient-ils des pudeurs de gazelle à l’heure de constater le résultat de leur idéologie ? Pour rappel, rien qu’en 2019, ce sont 3500 lits qui ont été fermés, 100.000 en 20 ans et le point d’indice salariale des personnels de la fonction publique hospitalière est gelé depuis dix ans. Le 24 septembre, au micro de France Inter, Philippe Juvin, chef des urgences de l’Hôpital européen Georges-Pompidou et maire LR de La Garenne-Colombes, s’insurge : « Toutes ces mesures ne sont prises que dans un seul but, c’est de faire en sorte de pas submerger le système de santé. [...] C’est quand même assez incroyable que huit mois après la crise, on soit dans un système où on n’a pas augmenté le nombre de lits de réanimation ou d’hospitalisations, on l’a même réduit. Paradoxalement, au mois d’octobre, nous risquons d’avoir moins de moyens hospitaliers à la disposition des malades du Covid qu’au mois de mars ». (...)

Qui croire : l’ARS qui dit que tout va mieux parce que c’est écrit dans leurs tableurs, ou bien les soignants qui disent que tout va de mal en pis parce qu’ils le constatent tous les jours au travail ? (...)

« On se demande où est le plan massif », déplore Agnès Hartemann. Le seul plan consiste à attendre que l’orage passe, sans jamais rien anticiper. Que dire de cet article du Monde où l’on apprend que les données de Santé publique France sont incomplètes, approximatives – sans parler du manque de transparence –, laissant penser que le gouvernement navigue à vue ? « J’ai l’impression qu’ils jouent à la roulette-russe : on prend nos points faibles de la première vague, on aggrave la situation et on verra ce que ça donne pour la deuxième vague », s’exclame Caroline Fiat.
Parce que c’est notre projet !

Alors que le couvercle de la marmite est sur le point de sauter, Emmanuel Macron, fidèle à lui même, attise le feu : « C’est pas une question de moyens, c’est une question d’organisation », lance-t-il. De quoi indigner Agnès Hartemann : « Il est complètement à côté de la réalité. C’est assez terrifiant. (...)

Il faut se rendre à l’évidence, il n’y a pas et n’y aura jamais de « plan massif » pour l’hôpital public. Pas tant qu’Emmanuel Macron sera président de la République (...)

L’hiver vient

Sauf qu’il va bien falloir gérer l’épidémie en cours et les malades qui arrivent aux urgences. Mais comment faire avec moins de moyens, donc, mais aussi moins de personnels ? Là encore, le gouvernement et ses bras armés vont réussir à s’y mettre jusqu’aux genoux. Ainsi, alors qu’Olivier Véran lance, solennel, cet appel : « Nous avons besoin de renforts », le directeur général de l’AP-HP Martin Hirsch prévient : il « souhaite » que certains soignants « puissent renoncer à leurs vacances ». Bande de fainéants ingrats ! Caroline Fiat ne décolère pas : « C’est impossible de demander aux soignants de se passer de leurs vacances. On a besoin de se reposer ! Sinon, on va vite péter un câble. Vu les remerciements de la première fois – les intérimaires qui n’ont pas eu la prime par exemple –, la fatigue accumulée, la peur du virus, ceux qui ont été malades, ceux qui ont ramené le virus à la maison… les soignants ne vont pas s’arrêter de soigner, mais s’il y a une deuxième vague, ils n’iront pas en réa-Covid. Ils vont rester dans leur service. Vous savez, la réa-Covid, au-delà de voir des malades dans un état dramatique et de la fatigue au travail, c’est toute une vie entre parenthèse : plus de câlin à ses enfants, plus de repas en famille, plus de vie conjugale, on dort sur le canapé… »

Aux dires de chacun, il est une chose redoutée et redoutable dont l’ombre grandit jour après jour : une sorte de grande désertion des soignants, provoquée par le système lui-même. (...)

Mais pour l’heure, la dernière trouvaille pour désengorger les urgences serait d’instaurer un « ticket modérateur forfaitaire et universel » pour les passages aux urgences sans hospitalisation. Dans le podcast « Au turbin ! », on apprend que seulement 25 à 30% des arrivées aux urgences par jour amènent à une hospitalisation. Voilà tout ce à quoi nous aurons droit. Austérité, rentabilité, compétitivité. Au diable la santé !