Selon une consultation de l’ordre national des infirmiers que nous publions en exclusivité, 40 % ont envie de changer de métier depuis la crise du Covid. Comme eux, d’autres soignants franchissent le pas. Et font le choix de la reconversion. Un déchirement mais aussi une question de survie. (...)
« J’aurai tellement aimé assurer, continuer malgré tout. Mais je n’y arrivais plus ». Son métier d’infirmière, Margaux, 33 ans, l’aime plus que tout. Petite, c’était son premier déguisement, c’est comme ça, dit-elle, impossible d’expliquer pourquoi, sa vie, elle la voyait à l’hôpital. Alors depuis qu’elle a rendu sa blouse blanche, le 1er août après la crise du Covid, d’une dureté inimaginable, elle pense sans cesse à ses « champions », ses collègues de réa, qui sont toujours dans cette « galère » et force le courage, celui qu’elle « n’a pas eu », dit-elle, très émue. « J’ai un peu l’impression d’avoir baissé les bras, eux sont toujours là-bas ».
Mais son départ était la condition de sa survie alors c’est sans regret. Déjà, un mois avant l’épidémie, Margaux avait décidé de devenir infirmière libérale puis le Covid l’a fait revenir en catastrophe auprès des malades, « beaucoup se battaient si fort », se souvient-elle.
(...)
D’abord, il a fallu affronter cette attente « extrêmement angoissante », avant l’arrivée des victimes d’une guerre silencieuse. Au fil des jours, même les chefs, les plus flegmatiques, affichaient une mine grave. « Ils nous disaient, vous ne verrez sûrement pas beaucoup vos enfants », se souvient Margaux, puis la vague a déferlé, mettant tout le monde KO.
Est-elle traumatisée ? « Touchée », rectifie-t-elle, en s’excusant d’avoir du mal à mettre des mots sur « tout ça ». De cette période, où l’infirmière restait parfois 14 heures dans la chambre d’un patient, il y en a trois qu’elle n’oubliera jamais. Ce survivant, un papa trentenaire en forme, pourtant intubé, dialysé, le cœur et les poumons, battant, respirant grâce à une machine. « Quand on l’a vu marcher avec sa femme, on en pleurait, je me disais, voilà pourquoi je suis là, c’était plus fort que tout », s’exclame Margaux, revivant cet instant de joie.
Et puis il y a cet homme de 65 ans, sous oxygène, grand amateur de musique classique, avec qui l’infirmière discutait des heures durant les soins, en écoutant Mozart. « Il me parlait beaucoup de ses enfants dont il était fier puis il est mort. J’ai eu envie de leur écrire une lettre, c’est un projet, je le ferai ». Une autre disparue l’a bouleversé, une jeune femme qu’elle n’a jamais vu réveillée. Après son décès, dans sa chambre, son fils et son mari ne pouvaient même pas la toucher, à cause des mesures strictes, instaurées au début de l’épidémie. « C’était horrible, j’avais une petite piscine dans les lunettes ».
(...)
« Ce qui m’a le plus marqué, c’étaient ces procédures inhumaines, l’impossibilité de prendre soin des malades et de leur famille », souffle-t-elle, pleine d’empathie.
« C’est comme si je ne parvenais jamais à quitter l’hôpital »
Peu à peu, les cauchemars détruisent ses nuits, la fatigue la fait flancher, jour et nuit, elle est au front, parfois 70 heures par semaine.
(...)