
Dans les centrales nucléaires, les agents d’EDF restent très mobilisés contre la réforme des retraites. Piquet de grève, mise à l’arrêt de réacteurs, blocage.... Face à la dégradation du service public de l’électricité, les salariés et les sous-traitants ne veulent être « ni une chair à patron ni une chair à radiation ».
L’image est insolite. Depuis plusieurs semaines, des cabanes en palettes poussent aux abords des centrales nucléaires, comme une amorce de ZAD ou l’occupation d’un rond-point par les gilets jaunes. Les travailleurs du nucléaire ont installé des piquets de grève avec des bottes de paille, des banderoles et des braseros. Ils bloquent l’accès aux sites les plus sécurisés de France et multiplient les actions à deux pas des réacteurs, sous les panaches de fumée.
Moins visibles que leurs camarades de lutte cheminots, les agents d’EDF n’en restent pas moins mobilisés contre la réforme des retraites. Ils défendent leur statut et dénoncent plus généralement la privatisation des services publics et la dégradation de leurs conditions de travail.
« Pendant les journées de mobilisation, entre 40 et 60 % des salariés font la grève dans les centrales nucléaires » (...)
« Des retraités du nucléaire, venus nous prêter main-forte pendant les blocages, nous ont dit qu’ils n’avaient jamais vu ça de toute leur carrière, confie également Nicolas Dessertenne, délégué syndical à la centrale de Gravelines dans le Nord. Beaucoup de jeunes nous rejoignent. La colère monte ». (...)
Hier, mercredi 29 janvier, des blocages ont eu lieu à la centrale du Bugey dans l’Ain. La veille, les travailleurs avaient mis à l’arrêt l’un de ses réacteurs. (...)
Mercredi, à la centrale de Chooz (Ardennes), à Cruas ( Drôme), à Saint Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) ou à Saint-Alban ( Isère), des barrages filtrants ont été mis en place. 150 salariés de la centrale de Gravelines sont aussi descendus en bus jusqu’à Paris pour manifester dans le cortège interprofessionnel aux côtés de leurs collègues de la centrale de Nogent. « Il n’y a pas de temps mort. On veut continuer à maintenir la pression », confie un syndicaliste. Du fait de l’accalmie dans les transports, les actions des salariés d’EDF bénéficient désormais d’un nouvel éclat. Ils veulent reprendre le flambeau après les cheminots. « Le nucléaire est aussi un secteur stratégique où la grève peut avoir un impact fort », pense Hervé Béquet de la Fédération mine énergie à la CGT.
La semaine dernière, des opérations de filtrage, coordonnées au niveau national, ont eu lieu dans toutes les centrales nucléaires, le jeudi 23 janvier. La mobilisation a été particulièrement suivie à Dampierre-en-Burly, dans le Loiret, où de nombreux agents de maintenance ont fait grève. Des feux d’artifices ont aussi été tirés à Chooz, « histoire d’égayer les piquets de grèves », raconte Thierry Raymond de la CGT. A Gravelines, une opération escargot a été menée sur l’autoroute. (...)
A Gravelines, la mobilisation a pris une tournure étonnante. Le piquet de grève s’est transformé en véritable camp de base avec des tentes, des feux, des cabanes. Des assemblées générales sont organisées tous les jours et des centaines de travailleurs se relayent depuis deux semaines. Une cinquantaine de grévistes y dorment même chaque nuit sous une tente militaire. (...)
A plusieurs reprises, un DJ set a animé les nuits froides jusqu’à 7 heures du matin, sous les lumières blafardes de la centrale et à quelques mètres seulement des grilles et barbelés. (...)
Si la réforme des retraites est dans toutes les bouches, les travailleurs en grève critiquent aussi la dégradation de leurs conditions de travail et les évolutions d’EDF. Avec en ligne de mire le projet Hercule.« Le gouvernement veut privatiser les profits d’EDF en libéralisant la distribution d’électricité et nationaliser les risques en gardant la production nucléaire ». Pour Thomas Plancot, de la CGT, « le service public de l’électricité est en voie de destruction ». (...)
« Nos revendications sont multiples, souligne le syndicaliste, la réforme des retraites s’inscrit en réalité dans une série d’attaques du néolibéralisme à notre encontre. On veut défendre notre statut et ce n’est pas simplement un privilège. Nous sommes soumis à de la pénibilité, au trois huit mais aussi à de la radioactivité. C’est un métier à risque », dit-il.
Parmi les grévistes, on compte de nombreux salariés d’EDF mais beaucoup moins de sous-traitants plus précaires, moins organisés et moins protégés dans leur droit de grève. « C’est un véritable problème », déplore Gilles Reynaud, président de l’association des sous-traitants du nucléaire « Ma zone contrôlée ». « Nous sommes pourtant les premiers concernés par la dégradation des conditions de travail. 80 % des activités dans le nucléaire sont sous-traitées. On est majoritaire dans le gardiennage, le démantèlement et la radioprotection. Alors que le gouvernement pousse à faire du nucléaire low-cost, on sert de cobayes. Mais nous ne sommes ni de la chair à patron, ni de la chair à radiation ! ». (...)