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Le Monde
Comment une ONG fantôme a tenté d’espionner Amnesty International
Article mis en ligne le 24 décembre 2016
dernière modification le 21 décembre 2016

Une ONG factice a tenté d’espionner Amnesty et plusieurs autres organisations enquêtant sur les droits des travailleurs de la Coupe du monde 2022 au Qatar.

Pour Amnesty International, le 31 mars 2016 est une date importante. L’ONG publie alors un rapport sur les droits des travailleurs construisant les stades de la Coupe du monde de football 2022, au Qatar.

La question est très sensible, et le rapport, très critique pour l’émirat du Golfe, est abondamment relayé par les médias. Fruit d’une longue enquête, il lève un coin du voile sur les effroyables conditions dans lesquelles la Coupe du monde est préparée, et force même la FIFA à réagir. Mais l’organisation ne se doute pas qu’il sera le point de départ d’une étrange affaire, dans laquelle une fausse ONG, soupçonnée d’être liée à un Etat, tentera de l’espionner. (...)

 : après quelques mois et une enquête approfondie, à laquelle Le Monde a eu accès en avant-première, Amnesty affirme que Voiceless Victims n’est pas une véritable ONG. Et, pire, que cette organisation fantôme située en France a tenté, par le biais de pièces jointes insérées dans ses courriels, de les espionner.
« Repérage » en amont d’une attaque informatique

Selon les éléments recueillis par Amnesty, d’autres ONG ont été contactées et visées par Voiceless Victims, notamment l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB), la Confédération syndicale internationale et Anti-Slavery International. Le point commun de ces organisations ? Elles s’intéressent toutes de très près à la question des droits des travailleurs au Qatar.

C’est un message adressé plusieurs mois après ces premiers échanges qui a éveillé la méfiance d’Amnesty. Début août, l’ONG reçoit un message d’une dénommée Amélie Lefebvre. En anglais, celle-ci dénonce le gouvernement qatari, qui « piétine quotidiennement les droits de centaines de milliers de travailleurs immigrés ». En pièce jointe, deux documents : une lettre pour Amnesty et un « brouillon de pétition ».

Lorsque l’un des destinataires tente d’ouvrir les pièces jointes, le système informatique d’Amnesty l’avertit d’un danger et empêche la connexion. Et pour cause : selon les experts de l’ONG, l’ouverture de ces documents aurait conduit à un site Web configuré pour détecter, notamment, les logiciels présents sur leurs ordinateurs ou leur géolocalisation. Selon Amnesty, cela pourrait correspondre à un « travail de repérage en vue d’une attaque plus intrusive ».
Une ONG qui s’intéresse exclusivement au Qatar

Inquiètes et intriguées, les équipes d’Amnesty se penchent alors sur le cas de Voiceless Victims. « À première vue, l’organisation peut sembler crédible » écrit Amnesty, citant par exemple les 6 000 « fans » de sa page Facebook, les profils bien pourvus de ses cinq membres sur les réseaux sociaux, le communiqué de presse annonçant son nouveau site Web, ou encore une vidéo à l’apparence très professionnelle dénonçant les conditions de travail au Qatar, postée dès la fin d’octobre 2015 et vue plus de 250 000 fois.

Mais à y regarder de plus près, plusieurs indices interpellent Amnesty. D’abord, le nombre d’angles morts dans les activités de Voiceless Victims : outre le Qatar, l’ONG s’intéresse bien à d’autres sujets, mais tous extrêmement généraux, comme « l’Afrique » ou « le droit des femmes ». Pour Amnesty, les publications correspondantes sur les réseaux sociaux ne servent que d’alibis destinés à faire croire que Voiceless Victims a d’autres axes de travail que la question qatarie.

En effet, les références à leurs autres combats sont au mieux maladroites, au pire dangereuses, d’un amateurisme suspect pour une organisation se disant professionnelle. (...)

Qui se cache derrière Voiceless Victims ?

Pour Amnesty, les ressources nécessaires à la création, de toutes pièces, d’une fausse ONG crédible au premier abord ne laissent guère de place au doute : c’est un Etat qui se cache derrière cette opération d’espionnage. Mais lequel ? Faute de preuve, l’ONG reste extrêmement prudente. (...)

L’affaire de Voiceless Victims montre une nouvelle fois que la société civile est une cible de choix pour les gouvernements capables de financer des attaques informatiques, particulièrement dans les pays du Golfe, écrit Amnesty.