
Place Tahrir, le slogan central était “Le peuple veut renverser le régime”. Dans une imitation consciente, le slogan central des villes de tentes est “Le peuple veut la justice sociale”.
D’ABORD, un avertissement
Des villes de tentes surgissent dans tout Israël. Un mouvement de protestation sociale gagne du terrain. A un certain moment, dans un avenir proche, il peut mettre en danger le gouvernement de droite.
A ce moment-là, il y aura une tentation – peut-être une irrésistible tentation – d’“échauffer les frontières”. Lancer une jolie petite guerre. Demander à la jeunesse d’Israël, les mêmes jeunes gens et jeunes filles qui occupent les tentes, d’aller défendre la patrie.
Rien n’est plus simple : une petite provocation, un peloton qui traverse la frontière “pour empêcher le lancement d’une roquette”, un échange de coups de feu, une salve de roquettes – et voilà, une guerre. Fin des manifestations.
En septembre, dans quelques semaines à peine, les Palestiniens ont l’intention d’avoir recours à l’ONU pour la reconnaissance de l’État de Palestine. Nos hommes politiques et nos généraux chantent à l’unisson que cela provoquera une crise(...)
Le gouvernement israélien vit tout ceci avec une inquiétude croissante, mais il n’ imaginait pas qu’il puisse y avoir un impact en Israël même. On pouvait difficilement s’attendre à ce que la société israélienne, avec son mépris profond des Arabes, puisse en faire autant.
Mais ils en firent autant. Les gens dans les rues parlaient avec beaucoup d’admiration de la révolte arabe. Celle-ci montrait que les gens qui agissent ensemble peuvent se confronter à des dirigeants beaucoup plus redoutables que notre empoté Benjamin Nétanyahou.(...)
Une sélection de slogans donnent une idée : Nous voulons un État social ! Combat pour le logement ! De la justice, pas la charité ! Si le gouvernement est contre les gens, les gens sont contre le gouvernement ! Bibi, ce n’est pas le Congrès américain, tu ne nous achèteras pas avec des mots creux ! Si vous ne rejoignez pas notre guerre, nous ne nous battrons pas dans vos guerres ! Rendez nous notre État ! Trois partenaires avec trois salaires ne peuvent pas payer pour trois chambres ! La réponse à la privatisation est : révolution ! Nous étions esclaves de Pharaon en Égypte, nous sommes esclaves de Bibi en Israël ! Je n’ai pas d’autre patrie ! Bibi, retourne chez toi, nous payerons l’essence ! Renversons le capitalisme dégueulasse ! Soyons pratiques, exigeons l’impossible !
QU’EST-CE QUI manque dans cette énumération ? Bien sûr : l’occupation, les colonies, les énormes dépenses militaires.
C’est délibéré. Les organisateurs, jeunes gens et jeunes femmes anonymes – principalement des femmes – sont très déterminés à ne pas être catalogués comme “de gauche”. Ils savent que soulever la question de l’occupation fournirait à Nétanyahou une arme facile, diviserait les occupants des tentes et ferait avorter la protestation.
Nous du mouvement de paix le savons et le respectons. Nous nous sommes tous astreints à la retenue, pour que Nétanyahou ne réussisse pas à marginaliser le mouvement et à le présenter comme un complot pour renverser le gouvernement de droite.
Comme je l’ai écrit dans un article de Haaretz : Pas besoin de pousser les manifestants. Le moment venu, ils arriveront à la conclusion que l’argent pour les principales réformes qu’ils demandent ne peut venir que de l’arrêt de la colonisation et de coupes dans l’énorme budget militaire de centaines de milliards – et cela n’est possible qu’avec la paix. (Pour les aider, nous avons publié une grande annonce qui dit : “C’est très simple – Argent pour les colonies OU argent pour le logement, les services de santé et l’éducation”).(...)
Là nous sommes témoins d’un événement toujours en cours, peut-être même à peine à ses débuts.
Il a déjà produit un énorme changement. Depuis des semaines maintenant, le public et les médias ont cessé de parler des frontières, de la bombe iranienne et de la situation sécuritaire. Au lieu de cela, les conversations portent aujourd’hui uniquement sur la situation sociale, le salaire minimum, l’injustice des impôts indirects, la crise de la construction des logements.
Sous pression, la direction informelle de la protestation a établi une liste de demandes concrètes. Entre autres : construction par le gouvernement de maisons à louer, augmentation des impôts des riches et des sociétés, éducation libre à partir de l’âge de trois mois (sic), une augmentation des salaires pour les médecins, la police et les pompiers, fixation des effectifs des classes à 21 élèves au maximum, fin des monopoles contrôlés par quelques magnats, et ainsi de suite.(...)
J’AI COMMENCÉ par un avertissement, et je dois finir par un autre : ce mouvement a suscité d’immenses espoirs. S’il échoue, il peut laisser derrière lui une atmosphère de découragement et de désespoir – état d’esprit qui conduirait ceux qui veulent chercher une vie meilleure à partir ailleurs. Wikio