
Dans l’affaire Matzneff, certains élus ont cherché à accroître leur capital politique en s’affichant aux côtés de l’auteur, aujourd’hui accusé de viols sur mineurs. Leur disgrâce n’est pas injuste, affirme l’écrivaine, dans une tribune au « Monde ».
Tribune. En 2015 est sorti un film magnifique, sobre comme ses personnages, Spotlight, qui raconte comment une équipe de journalistes d’investigation du Boston Globe a mené une enquête sur des prêtres pédophiles ayant fait des centaines de victimes dans leur ville, au vu et au su de la hiérarchie ecclésiastique, de la police et de la justice, et ce à partir de la fin des années 1970. Conduite au tournant des années 2000, l’enquête qui est dépeinte par le réalisateur Tom McCarthy n’est pas seulement difficile à mener, elle l’est aussi et surtout à publier : des amis, des alliés, vont se retrouver exposés pour ces crimes, ou pour leur absence de réaction devant ces crimes. (...)
Dans l’affaire Gabriel Matzneff, l’effort collectif est encore plus remarquable puisque l’écrivain a non seulement revendiqué ses actes, mais qu’il en a fait son fonds de commerce, dès 1974 et la parution des Moins de seize ans (Julliard). D’après ses propres mots dans ce livre, il aime les jeunes gens à partir de 10 ans, alors qu’il en a déjà 38. L’idée qu’on ne savait pas qui était Gabriel Matzneff, qui on aidait quand on l’aidait, est obsolète à partir de 1974, quand il commence à publier ses récits pédophiles autobiographiques.
Parler d’ordre moral est assez consternant
En 1987, treize ans plus tard, il trouve sur son chemin des mécènes pour lui payer ses notes d’hôtel. En 2002, il obtient que le Centre national du livre lui accorde une sorte de pension de retraite définitive. Ceux qui signent les chèques ne sont pas les mêmes que ceux qui accordent les subventions, qui ne sont pas les mêmes que ceux qui l’invitent à la télévision, etc. – ceci car « il faut tout un village ».
En 2020, une enquête de Mediapart et du New York Times met en cause Christophe Girard comme acteur de ce soutien financier, d’abord en tant que secrétaire général de la maison Yves Saint Laurent dont il signait les chèques, puis pour une lettre de soutien qu’il a signée alors qu’il était déjà adjoint à la culture à la Mairie de Paris. (...)