
Des élus du personnel de l’usine Airbus Atlantic d’Albert (Somme) étaient jugés le 8 juin à Amiens pour avoir bombé « #Stop64 » sur la chaussée le 7 mars, pendant une manifestation. Ils dénoncent une atteinte à la liberté d’expression. Le procureur a requis 500 euros d’amende pour chacun.
Devant le palais de justice d’Amiens, jeudi 8 mai en début d’après-midi, un petit groupe de manifestant·es, drapeaux et gilets CFDT et CGT mélangés, sont venus dire leur soutien et leur indignation. Soutien aux cinq syndicalistes CFDT convoqués devant le tribunal correctionnel au même moment, indignation devant le fait que la justice pénale se préoccupe de la broutille qui leur est reprochée : le 7 mars, sixième journée nationale de manifestation contre la réforme des retraites (et mobilisation syndicale record depuis des décennies), une vingtaine de petits pochoirs « #Stop64 » ont été apposés sur le sol dans les rues et devant la mairie d’Albert, commune située à trente kilomètres au nord-est d’Amiens.
Les manifestant·es souhaitaient se faire entendre de l’ancien maire d’Albert, le sénateur centriste Stéphane Demilly. Ils avaient recueilli « 523 signatures » pour la pétition lui demandant de ne pas voter la réforme des retraites. Mais la mairie a porté plainte et la justice a très vite embrayé, le procureur demandant des poursuites pénales.
L’article du Code pénal servant de base aux poursuites est celui qui réprime les tags et autres « inscriptions, signes ou dessins » apposés « sans autorisation préalable sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain ». (...)
« On a fait de simples marquages au sol, avec de la peinture lavable, qui part à l’eau. Ça fait bien longtemps qu’il n’y a plus de trace de notre action à Albert ! », raconte, interloquée, l’une des prévenus, Estelle Hannecart, déléguée syndicale CFDT chez Airbus Atlantic, la filiale du constructeur aérien qui produit des structures internes d’avions, à Meaulte, juste à côté d’Albert.
La militante et les militants ciblés par la justice sont tous élus dans cette usine, jusqu’à Alexandre Boury, le délégué syndical national de l’entreprise. « La plainte de la mairie a été envoyée à l’union locale de la CFDT. Nous sommes donc allés à la gendarmerie le 5 avril pour nous attribuer la responsabilité de ces marquages au sol car nous représentons nos camarades, indique Estelle Hannecart. Mais nous ne pensions pas du tout que cela prendrait une telle ampleur ! On imaginait qu’on nous demanderait de nettoyer et de ne plus le faire… »
La plainte est une chose, la décision du parquet de poursuivre, dans un laps de temps très court, en est une autre (...)
« On n’a rien dégradé, la démarche de la justice est simple : elle veut casser le mouvement, faire peur aux manifestants » (...)
Le procureur insiste : « On a le droit de ne pas accepter qu’on dégrade les biens publics : c’est ce qu’on apprend aux gosses, de ne pas barbouiller les trottoirs. »
De quoi faire bondir l’avocat des syndicalistes, qui se dit « effaré » par ces mots. « La liberté d’expression, c’est une liberté fondamentale, et ce n’est pas au ministère public d’apprendre aux prévenus comment l’employer, s’emporte-t-il. Ce ne sont pas des gosses, ce sont des militants. » (...)
Dans sa courte déclaration finale devant le tribunal, Estelle Hannecart a juré qu’elle ne se sentait « pas au-dessus des lois ». « On n’a rien dégradé et on ne dégradera jamais rien », a-t-elle juré. Une promesse qui a déclenché une moue sceptique du procureur. Le jugement sera connu le 6 juillet.