
La discussion sur « repenser l’Europe » inclut la question de la stratégie de transformation. Longtemps, les conférences européennes, les forums sociaux, etc, se sont concentrés, d’une part, sur l’analyse des réalités européennes et, d’autre part, sur l’élaboration de propositions de programmes alternatifs. Il est significatif que, ces derniers mois, dans le contexte d’accentuation de la crise, les enjeux concernant une stratégie concrète de transformation sont devenus le centre du débat. De plus en plus cette problématique n’est pas seulement considérée comme un enjeu national, mais aussi comme un défi européen.
Il reste néanmoins très difficile de faire avancer ce débat à travers l’Europe alors que les réalités entre le sud, l’est et le nord diffèrent fortement et que l’état des consciences et du débat est marqué par des traditions politiques et historiques fort différentes. Toutefois la généralisation des politiques d’austérité - dans certains pays, il convient de parler aujourd’hui de dévastation sociale et de catastrophe - ainsi que des formes de gouvernance autoritaires renforcent ce qui est commun. (...)
Pour les acteurs de gauche, il s’agit à présent de définir une stratégie tout à la fois complexe, différenciée et globale. La zone euro et l’union européenne forment des ensembles de pouvoirs multipolaires, ce qui, dans la phase actuelle, interdit de penser qu’il serait possible de développer simultanément dans toute l’Europe des actions communes ayant une même orientation. Du fait de la complexité des structures de pouvoir ainsi que du déficit démocratique structurel, il est difficile d’identifier les responsables et les vecteurs d’une intervention politique efficace. Des intérêts contradictoires entre différents pays, voire régions, aggravent les difficultés pour les forces sociales et politiques de gauche de définir une stratégie de transformation européenne. En même temps l’ensemble des centres de pouvoir cherche à imposer la même logique, avec plus ou moins de détermination et de brutalité.
C’est pour cela qu’un premier défi consiste à rendre partout visible et compréhensible que la nature véritable de la confrontation en Europe n’est pas un conflit entre territoires nations ou régions, mais une confrontation de classe intense.
Après trente années d’offensive néo-libérale et dans le contexte d’une crise systémique aiguë, les forces dominantes tentent à la fois d’installer le management de la crise le plus favorable à leurs intérêts et de profiter de la crise comme d’une chance historique pour accélérer le démontage des acquis sociaux et démocratiques. (...)
– il pourrait être utile d’européaniser une campagne menée actuellement en Allemagne, et qui vise une répartition des richesses selon les principes de la justice sociale (UmFairTeilen). C’est ainsi qu’on rendrait lisible le fait qu’il s’agit d’une confrontation de classe tout à la fois aux niveaux national et européen, et qu’il faut combattre dans le même effort les interprétations nationalistes de la crise. C’est ainsi qu’il serait possible de montrer où de trouver les moyens de financer à la fois des mesures d’urgence et des projets socialement et écologiquement soutenables.
– Le deuxième axe de l’action commune en Europe pourrait être défini ainsi : face à l’ensemble de pouvoir multipolaire, il s’agit d’actionner le plus grand nombre de leviers, si possible simultanément, afin qu’ils deviennent des facteurs de résistance, de désobéissance contre la logique « austéritaire » et modifient les rapports de force politique. (...)
– Constituer de nouvelles alliances dans les différents pays et en Europe peut être considéré comme un troisième défi. L’instabilité de la situation européenne et les dévastations sociales ne rendent pas improbable l’arrivée de tremblements de terre plus ou moins importants. Compte-tenu des évolutions peu favorables aux populations en termes de paysage politique, il devient urgent de constituer de larges fronts contre l’austérité, la dévastation sociale et la gouvernance autoritaire. (...)
Dans de nombreux pays, d’importants efforts sont faits et des expérimentations en cours visent la formation de nouvelles coalitions.
- Syriza en Grèce constitue une coalition de force politique et sociale complexe dans un contexte de politisation de la société.
- Au Portugal, un congrès citoyen pour élaborer un programme de gouvernement alternatif s’est tenu en octobre avec la participation de nombreuses organisations de la société civile, de concert avec des forces politiques telles que le bloc de gauche.
- En Espagne, dans la suite de la dynamique du mouvement M15 et en s’appuyant sur le mécontentement provoqué par l’agression sociale, les syndicats ont initié un « sommet social » avec les organisations de la société civile dont un des résultats a été l’appel à la grève générale du 14 novembre, en commun avec les syndicats portugais.
- En France, une coalition large, avec la participation du Front de gauche, a pu organiser une manifestation contre le TSCG, le 30 septembre, et tente de faire vivre des collectifs décentralisés contre l’austérité.
- En Allemagne, différentes alliances comme UmFairTeiln (répartir les richesses autrement), Blockupy, ainsi que l’Appel « refonder l’Europe » ainsi que le débat sur le mandat politique des syndicats montrent également l’existence de recherches nouvelles.
- Lors du forum qui s’est déroulé à Florence, début novembre, la création d’un réseau européen regroupant les différents réseaux d’économistes critiques indique que dans les milieux des intellectuels critiques, se développe également la disponibilité pour agir. (...)
– En quatrième lieu, il est nécessaire que les acteurs de gauche affichent une nouvelle volonté de modifier les rapports de force et les pouvoirs non comme perspective lointaine mais comme défi immédiat. C’est ainsi qu’ils gagneront en crédibilité et en efficacité et mobiliseront plus largement dans les confrontations actuelles. Du côté des syndicats, la grève générale transnationale et la journée européenne du 14 novembre constituent de ce point de vue un tournant. Mais la volonté de parvenir à de véritables changements suppose également de mettre à l’ordre du jour la question des pouvoirs, de la discuter afin de politiser la confrontation. (...)
Nous sommes toujours face à une grande tension entre colère et impuissance, critique des réalités ou du système, mais aussi face au poids de la pédagogie de renoncement imprégné du néolibéralisme, entre le désir de changement et la peur. De ce point de vue, toutes les actions politiques doivent viser un nouveau pouvoir d’interprétation, produire des contenus capables d’unir et de fonder des alliances nouvelles et de rendre crédibles des stratégies de changement. (...)
– Le cinquième point concerne l’élaboration d’étapes précises pour modifier les rapports de force. Dans les confrontations de ces dernières années, les approches des uns des autres se sont souvent rapprochées. Certaines revendications sont devenues simultanément des questions centrales dans nombre de mouvements et de plates-formes. Les forums sociaux européens ont favorisé la coopération entre différents acteurs ainsi que la constitution de nouveaux réseaux et sujets européens. Mais une méthode de coopération peu structurée ne correspond plus aujourd’hui au défi actuel, car la confrontation en Europe réclame des actions sociales et politiques, des revendications plus précises et plus construites.
L’idée d’un « altersommet » correspondant à ce type d’exigence dans la phase actuelle, elle a rencontré rapidement une adhésion considérable. (...)
L’ « altersommet » a été lancé publiquement à Florence, le 10 novembre 2012, devant 800 participants. Il se déroulera à Athènes du 7 au 9 juin 2013. Il ne s’agit ni d’un contre sommet, ni de l’élaboration d’un catalogue de revendications, mais d’un événement dont l’objectif est d’exprimer de façon compréhensible, massive et claire la volonté du plus grand nombre possible d’acteurs, d’imposer face aux urgences rapidement un changement de logique et de travailler à la refondation de l’Europe. (...)