
À force de tomber sur des “aires d’accueil des gens du voyage” situées à proximité de cimetières, j’en viens forcément à me poser la question des liens qui peuvent exister entre deux lieux qu’apparement tout oppose.
Dans leur fonction d’abord, on aura compris que l’un accueille pour l’éternité, alors que l’autre accueille temporairement. Quoique…
Dans la mesure où la politique d’accueil des “gens du voyage” s’accompagne d’un objectif de sédentarisation (sans en prévoir les moyens), il n’est pas rare que des familles finissent par se sédentariser directement sur ces aires.
Il faut également dire qu’on meurt sur les aires d’accueil. Puisque leur proximité avec des sources polluantes, les conditions sanitaires et la rudesse de la vie sur une aire sont des facteurs qui peuvent expliquer l’espérance de vie inférieure de 15 années des gens du voyage.
Le lien entre aire d’accueil et cimetière s’observe ensuite dans la localisation de ces espaces par rapport à la ville. (...)
les facteurs qui expliquent cette proximité sont multiples. D’abord sur la localisation des aires, je le démontre chaque jour ici, le choix se porte régulièrement sur une mise à l’écart de ces lieux.
Tout se joue donc hors de la ville ou à la sortie. Mais il faut bien trouver un terrain peu cher et facilement raccordable à l’eau et l’électricité. L’instation d’une aire à proximité d’un cimetière est donc un choix intéressant pour les élus souhaitant une aire discrète, loin des autres habitants et à moindre coût. (...)
Le choix d’installer une aire proche d’un cimetière illustre également une autre réalité : celle de l’argument touristique. Lorsque les riverains ou les maires s’opposent à la construction d’une aire d’accueil c’est souvent un argument qui revient. Les “gens du voyage” sont souvent considérés comme une menace pour l’attractivité touristique de la ville. Alors évidemment ce n’est pas toujours le cas pour les cimetières qui peuvent apporter une grande plus-value touristique. Celui du Père Lachaise à Paris se visite.
Il existe même un Tour spécial cimetière à l’office du tourisme de Bruxelles ! (si, si je vous assure). (...)
Pourtant cette valorisation du cimetière est plutôt récente, comme les aires d’accueil il s’agit en général d’un lieu qu’on visite peu. On peut retrouver cet argument de menace à l’équilibre touristique dans des centaines de pétitions en ligne hostiles à des projets de nouvelles aire d’accueil (enfin surtout hostiles aux “gens du voyage” on ne va pas se mentir).
Pour le plaisir je vous laisse savourer l’argumentaire charmant (et pas du tout raciste) de cette pétition. Si ça vous branche, il y en a des centaines similaires sur le net… (...)
il y a quelque chose de plus profond dans le lien et la symbolique entre aire et cimetière. La mise à l’écart. C’est un sentiment diffus, une impression de chaque instant, plus on vit, plus on travaille sur ces aires plus on le sait, plus on le sent, “l’aire d’accueil des gens du voyage” est un lieu que l’on ne veut pas voir. Comme le cimetière c’est un lieu qui s’éloigne des autres, cela a une fonction precise : vous permettre de ne pas y penser tout le temps. On ne vit pas avec les morts, on ne vit pas avec les “gens du voyage”. L’un permet d’avancer, l’autre permet d’ignorer. (...)
Mais aussi comme l’aire, le cimetière est un lieu aux vocations hygiénistes. Ce n’est pas un hasard si le nouveau décret de décembre 2019 sur les aires d’accueil rappelle l’obligation d’organiser le ramassage des ordures. Ce n’est pas un hasard si l’immense majorité des textes sur les gens du voyage traitent de déchets. Evidemment il y a des clichés et des préjugés derrière ces associations psychologiques, mais cela recouvre aussi d’autres réalités. La première chose que l’on fait lorsque l’on arrive dans une place sur voyage, est de se renseigner pour les poubelles. (...)
Cette question de l’hygiène on la retrouve aussi dans la proximité régulière, dois-je dire presque systématique entre l’aire et la déchetterie. C’est même devenu un dicton populaire chez les voyageurs : “si tu ne trouve pas l’aire, cherche la déchetterie”. (...)
Même s’il y a des explications multiples, il existe indéniablement une représentation mentale dans la société qui associe les “gens du voyage” aux déchets, à la saleté. (...)
inconsciemment ou consciemment le choix de localisation de nombre d’aire d’accueil en France se reporte sur le secteur du cimetière. Ces deux lieux qui a priori ne partagent rien, sont donc pourtant des voisins réguliers.
Alors ce n’est pas grave de vivre à côté d’un cimetière, les voisins sont très calmes et les terrains plutôt bien entretenus. Mais le symbole est là et il en dit long. À condition de le voir…