
C’est le New York Times qui a révélé cette révolution : une insurrection des femmes, employées de la multinationale Nike, contre les discriminations et le harcèlement sexuels a entraîné une redistribution des cartes inédite dans le monde des entreprises. Des dirigeants, des hommes, ont dû abandonner leur poste et leurs privilèges. Un exemple à suivre...
"Just do it" - "Vous n’avez qu’à le faire". Ce célèbre slogan qui orne le fronton du siège de Nike dans l’Oregon, au Nord-Est des Etats-Unis, les employées de la célèbre marque d’accessoires de sport, fondée en 1971, l’ont pris au mot un demi siècle plus tard après son implantation. Nouvel avatar de ce mouvement #MeToo qui n’en finit pas de faire parler de lui, mais se traduit assez peu souvent par des actes pour changer le quotidien des femmes.
Ce qui s’est passé au sein de la marque planétaire de mode sportive en ce printemps 2018, et qui a été rendu public par le New York Times, est donc suffisamment remarquable pour être décortiqué : onze des dirigeants de Nike, dont l’un des premiers d’entre eux, le président de la marque Trevor Edwards (ce qui n’est pas le pdg mais un poste essentiel), ont quitté l’entreprise depuis le mois de mars. Mais cette victoire d’un combat de travailleuses, cadres et employées, n’est pas si définitive que cela : d’abord parce qu’elle est sans doute plus le fruit d’un calcul économique que celui d’une prise de conscience morale et sociale par la direction. Ensuite parce qu’elle a été précédée de départs forcés d’employéEs, licenciements déguisés, qui avaient dénoncé les multiples cas de harcèlement et de discriminations sexuelles à l’oeuvre, entre les murs du siège de Portland. (...)
"Les plaintes concernant le mauvais comportement des hommes et le manque d’avancement des femmes chez @Nike ont longtemps été ignorés, ont dit les employées, mais maintenant le changement semble être en cours après qu’un groupe de femmes au siège social de Nike a accompli une petite révolte."
Une "boys band" animée d’un sentiment de super-puissance
Le quotidien américain nous raconte que cela a commencé comme une accumulation de faits rapportés, jalons d’un indiscutable sentiment de super puissance parmi les cadres masculins de la maison Nike, la "bande à Trevor Edwards", l’image de la marque, ou encore comme ils se désignaient eux-mêmes FOT -Friends of Trevor, les amis de Trevor. "Il y a eu ces sorties de cadres qui commençaient au restaurant pour s’achever dans des boîtes à strip-tease. Ce superviseur qui se vantait de transporter des préservatifs dans son sac à dos. Un directeur qui a essayé d’embrasser de force une subordonnée, et un autre qui évoquait les seins de sa destinataire dans un mail professionnel." Cela pour le versant sexuel.
Pour ce qui est de l’évolution dans la hiérarchie, "il y a eu toutes ces carrières interrompues ou ralenties. Des femmes qui étaient marginalisées dans les réunions et n’étaient jamais incluses dans le volant régulier de promotion. Des mises à l’écart de secteurs stratégiques comme celui du basket-ball." Et des réclamations ou plaintes jamais retenues...
Ces constatations ont été faites dès 2016. Sans que personne ni à l’intérieur ni à l’extérieur n’en fasse quelque chose. (...)
L’argent, le nerf de la guerre...
On serait heureuse de penser qu’un vaste "mea culpa" a enfin envahi les consciences des messieurs qui président aux destinées de Nike. Mais la lecture des médias américains, tels le magazine Forbes ou le site Huffington Post, qui ont rendu compte des déboires de Nike, racontent une autre version, financière et économique celle-là. Dans ce secteur du vêtement et de l’accessoire sportif, la concurrence est impitoyable. Et le segment de ce marché qui s’avère le plus prometteur parce qu’il est celui qui connaît la croissance la plus rapide, est celui... des femmes.
À un moment ou la marque veut mettre toutes ses forces marketing pour attraper les sportives dans son escarcelle, ces révélations sur l’administration sexiste de la marque tombent très mal. D’autant qu’elles arrivent après une autre catastrophe, publicitaire, celle de la campagne pour des baskets féminines, confiée à la chanteuse FKA Twigs. Un tournage au Mexique qui a coûté des millions de dollars pour un premier un clip finalement détruit avant diffusion parce que certaines images rappelaient trop des scènes de strip-tease... (...)
Deux femmes viennent de rejoindre l’équipe dirigeante, la première Kellie Leonard au poste de "responsable de la diversité et de l’inclusion", une fonction inexistante jusque là, et Amy Montagne au poste de vice-présidente et directrice générale toutes catégories, en remplacement de Jayme Martin, l’un des partants, poussé lui aussi vers la sortie...
Deux nominations qui ne permettront pas encore de rééquilibrer la parité au sein de la multinationale : si les femmes constituent la moitié de ses effectifs, elles ne sont plus que 38% des cadres supérieurs et 29% des vice-présidents.
Mais, des opérations d’image et quelques rustines ne suffiront pas. (...)
Malgré les réserves sur les tenants et aboutissants de cette révolution de palais, ce qui s’est passé ouvre bien des perspectives : savoir qu’un petit groupe de femmes a réussi à faire chanceler une équipe d’hommes obsédés par leur pouvoir, persuadés de leur immunité et de leur éternité, ne peut qu’inciter à tenter d’autres expériences...
Parce que #yaduboulot