
Depuis l’été 2017, un collectif a rénové une maison à l’abandon près de Briançon afin d’y accueillir des demandeurs d’asile. Ceux-ci restent toujours aussi nombreux à franchir les Alpes depuis que la vallée de la Roya leur a été fermée.
Puy-Saint-Pierre (Hautes-Alpes), reportage
« Vous avez pris contact avec Chez Marcel ? C’est un squat, il faut que vous les rencontriez… eux, c’est très politique », sourit un bénévole de l’association Tous migrants, qui gère l’accueil de ces derniers à Briançon (Hautes-Alpes). Dans la région, certains refusent de politiser la question des migrants et les occupants de Chez Marcel se traînent une petite réputation de militants radicaux. Avec ses panneaux solaires à flanc de montagne, ses caravanes de guingois dans le jardin et sa grande banderole blanche « Ouvrons nos frontières » accrochée sur sa façade décrépie, on ne peut pas la rater, la maison de Marcel Amphoux. Située sur les hauteurs de Briançon, au Puy-Saint-Pierre, cette vieille bâtisse orientée plein sud fait l’objet d’un conflit en justice entre les ayants droit de l’ancien propriétaire. Le conflit s’éternise depuis six ans. (...)
Scotchée sur la porte d’entrée, une pancarte met en garde les médias : « Journalistes, consultations sur rdv ! » « On a eu des journalistes qui rentraient comme ça, sans prévenir. On préfère que quelqu’un soit disponible pour répondre aux questions » prévient Michel [*], la quarantaine avec un sourire en coin et une tasse de café chaud dans une main. Emmitouflé dans un vieux pull beige, les cheveux tirés en catogan et une paire de lunettes fines sur le nez, cet « accueillant » se tient dans l’encadrement de la porte d’entrée. « Avec les journalistes embarqués, les journalistes amis, ça se passe toujours bien. Mais avec les autres, ça dépend : ils entrent dans la maison comme ça… et on peut vite avoir l’impression d’être dans un zoo. » (...)
La maison est occupée depuis le 31 juillet 2017 pour accueillir des migrants et des demandeurs d’asile. « Ce lieu, à la base, on l’a ouvert pour pallier la fermeture probable du Centre d’accueil orientation de Briançon, où une douzaine de Soudanais étaient hébergés. On voulait éviter qu’ils se retrouvent à la rue » (...)
Parmi les activités de Chez Marcel, il y a de l’aide en montagne, avec des maraudes organisées par les bénévoles pour porter secours aux migrants qui tentent le passage de la frontière. Mais il y aussi cet accueil à moyen et long terme où l’on suit les demandeurs d’asile dans leurs parcours. Afin de se changer les idées et de rompre avec la monotonie de l’attente, on y prépare des démarches administratives tout en profitant des autres activités mises en place par les accueillants : ski de fond, foot, cours de français, réparations de vélo... (...)
« On peut dire que c’est un squat parce que personne n’est propriétaire. Mais l’esprit, c’est celui d’une colocation et d’un lieu de vie collectif et multiculturel. » « Vous allez parler de la luge ? C’est bien d’en parler, enchérit Mathilde, 22 ans, en riant. Quand on pense à un squat, personne n’imagine ça, mais ça traduit bien l’ambiance qu’on peut trouver ici ! » (...)
« Je suis parti pour des raisons politiques : j’étais dans le parti de l’opposition. Je savais que le voyage était risqué, mais la mort rapide en passant la mer vaut mieux que de rester en prison. » En Libye, Justin a dû payer une rançon pour sa liberté. Un ami, au Cameroun, a réuni la somme pour le libérer. Il est finalement arrivé en Sicile, après avoir été secouru par un navire géorgien durant la traversée et est ensuite parvenu à rallier Turin par ses propres moyens. Il a franchi la frontière franco-italienne une première fois, puis une seconde. À chaque fois, il a été arrêté par la police et ramené en Italie.
Justin s’interrompt pour s’assoir dans un fauteuil et masser son genou douloureux. « J’avais du mal à marcher... J’ai été torturé au genou une première fois au Cameroun, puis de nouveau en Libye… Ici en France, on m’a prescrit une IRM, mais je dois encore attendre ma carte de santé. » (...)
« Je ne connaissais personne, alors on m’a proposé de monter Chez Marcel en attendant de trouver une solution. Ici, c’est plus qu’une famille. Tout le monde est très solidaire. » (...)
Au squat de Chez Marcel on rencontre des Guinéens, des Ivoiriens, des Soudanais, des Camerounais, des Français… « Il y a aussi eu des Nigériens et des Burkinabés, ainsi qu’un Tunisien », précise Michel. (...)
Depuis l’été 2017, la ville de Briançon et ses alentours connaissent un afflux inégalé de migrants. À tel point que l’ancienne caserne de CRS de Briançon a été réquisitionnée par les bénévoles de l’association Tous migrants. Mais les capacités de ce lieu sont insuffisantes : prévu pour une quinzaine de personnes, il a pu abriter certains soirs jusqu’à 120 migrants.
« On s’approprie quelque chose parce qu’on ne peut plus trop compter sur l’État pour l’humain » (...)
« La manière dont on a ouvert ce lieu est politique, explique Laura. On s’approprie quelque chose parce qu’on ne peut plus trop compter sur l’État pour l’humain. Chez Marcel, on peut retrouver des gens de la Zad et des mouvements No TAV et No THT : il y a une convergence. On sent les liens qui unissent les mouvements contre les grands projets inutiles et les lieux d’accueil. C’est la même politique qui empêche les humains de passer que celle qui accepte de vendre la vallée pour construire des lignes à très haute tension. »
Dans la maison, on vit avec les moyens du bord, notamment des dons de vêtements et de nourriture. Financièrement, les accueillants et les migrants ne roulent pas sur l’or et mettent chacun un peu d’argent dans une caisse commune. Et puis, il y a aussi les soirées de soutien, où toute la troupe organise des concerts et des repas, dans les alentours et jusqu’à Grenoble. De temps en temps, les occupants de Chez Marcel font les marchés et jouent de l’accordéon, vendent du vin chaud et tiennent un infokiosque. L’occasion de discuter avec le reste des habitants. (...)