
Maintenant que nous savons un peu mieux par qui et pour quoi elle a été voulue comme çà, contre qui et contre quoi...
Dans son livre intitulé « APRÈS LE CAPITALISME », Pierre Madelin écrivait en 2017 dans son introduction (Que se passe-t-il ?) et le premier chapitre (« Le capitalisme ne mourra pas de mort naturelle ») quelques phrases rappelant que celui-ci « n’est pas uniquement un système économique, c’est un phénomène social total. Nous savons désormais que sa domination ne s’exerce pas seulement sur le travail mais également sur « nos besoins et nos désirs, nos pensées et l’image que nous avons de nous-mêmes »[1]. Aussi ajoutait-il : « Si les deux guerres mondiales, l’extermination des Juifs d’Europe, l’explosion des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki et la décolonisation figurent parmi les événements les plus marquants du XXe siècle, la crise écologique mondiale sera certainement l’événement décisif du 21ème, plaçant l’humanité dans une situation sans précédent. » (...)
Sortie de la crise écologique et sortie du capitalisme doivent donc être considérées comme synonymes, à condition bien sûr que le capitalisme ne soit pas remplacé par un autre système porteur de ce même imaginaire. »
N’en va-t-il pas de cette même indispensable révolution pour n’importe quel composant ordinaire d’un fonctionnement social ? Au hasard, pour les modes de production ou les biens publics ? Pour l’urbanisme ou les moyens de transport ? Pour la santé comme pour le théâtre ? Et pour l’éducation ou le bon équilibre des espèces ? Aucun de ces territoires de vie collective n’a pu s’instituer en désaccord avec une ambition politique globale, nécessairement celle des forces dominant les rapports sociaux du moment. Et donc sans menacer les idéologies, les superstitions et les croyances par lesquelles des institutions complémentaires se chargent de faire passer toute forme d’inégalité entre individus, peuples ou classes sociales non seulement comme légitime (et, par chance, créative) pour les gens de droite ; ou comme fâcheuse (et heureusement provisoire) pour ceux de gauche...
Mais, qu’il s’agisse de l’esclavage, du servage, de la traite des noirs, du colonialisme ou de l’achat de la force de travail pour en tirer profit[2], l’humanité ne semble pas avoir encore rompu avec son imaginaire, ses présupposés et ses corollaires. (...)
Le coup de génie (!) de Ferry, c’est d’avoir rendu l’instruction obligatoire sous une multitude de formes entre lesquelles les familles ont toute liberté de choisir (publiques, privées, religieuses, laïques, philosophiques, préceptorat ou cours particuliers, etc.) mais de n’avoir accordé la gratuité qu’à une seule forme : celle d’État, la Communale. Chacun est assurément libre de choisir. Sauf ceux qui n’en ont pas les moyens... Être libre de choisir a un coût. On sait combien ce premier ministre de l’Instruction Publique de la 3ème République passera pour un grand démocrate qui rêve d’égalité en imposant ce mode de domestication à ceux que sa classe sociale a toutes les raisons de redouter (...)
C’est, dira-t-il une fois ministre, « l’absence d’éducation chez le prolétaire qui crée le sentiment et la réalité de l’inégalité. » L’inégalité n’est décidément qu’une erreur perceptive !
Peut-on dire plus clairement[3] que la forme éducative imposée aux seuls pauvres est le moyen le plus habile de légitimer l’inégalité sous couvert de lutter pour la réduire par l’instruction publique ? D’où le refus violent de cette école par les milieux populaires dont témoignait déjà Marx en 1875 (...)
Or, l’Histoire ordinaire parle peu des expérimentations d’éducation populaire[4] qui se sont opposées aux projets de domestication des forces productives nécessaires au développement du capitalisme depuis le 19ème siècle. La 3ème République naissante a chargé Jules Ferry de fermer l’ère des révolutions en s’attaquant à l’autodidaxie et à toutes ces pratiques éducatives directes et mutuelles qui ne supposent pas l’école, son ordre hiérarchique et son échelle de valeurs[5].
Mission accomplie donc même si, au cours des 140 années qui nous séparent aujourd’hui des débuts de cette opération, ont alterné – luttes sociales obligent ! – quelques moments créatifs d’ouverture pédagogique et beaucoup de retours en arrière particulièrement efficaces. (...)
Lorsqu’on n’intoxique plus les pauvres par une imaginaire lutte de classes, chacun, à la place qu’il mérite, n’aura en tête que la qualité de sa contribution au bonheur et à l’avenir de tous les habitants de la planète. Confions le pouvoir aux meilleurs. Fi d’une révolution, paradigmatique ou pas...
Toutefois, la manière en 1940 dont s’est achevée la 3ème République peut laisser songeur. Elle avait commencé par la capitulation devant Bismarck en 1871, par le refus des Parisiens de se rendre, puis le massacre des Communards par les Versaillais avec l’accord tacite des Prussiens. Soixante-neuf après, Pétain sera intronisé par 88 % des députés et sénateurs élus par des citoyens majoritairement formés par l’école de la 3ème République. Entre les deux, ce sera, de septembre 1870 à janvier 1879[6], le conflit entre royalistes qui domine. Les 35 années qui suivent sont marquées par la création de l’école primaire publique, l’expansion coloniale[7] et par cet intermède ouvriériste que fut le Boulangisme ; s’y ajoutent la répression des insurrections agricoles (les vignerons) et ouvrières (Fourmies et les nombreuses grèves à parti de 1904), etc.
Les Bourses du travail, créées très tôt par des municipalités pour réguler le marché de l’emploi, sont subverties par les syndicalistes révolutionnaires qui cherchent à les transformer en bases d’une contre-société prolétarienne, en les dotant de services d’entraide, de bibliothèques, de cours du soir où l’on étudie l’économie, la philosophie, l’histoire. « L’éducation est alors conçue comme un prélude à la révolution » écrit l’anarchiste Fernand Pelloutier. Voilà qui fait peur (...)