
Dans le 18ème arrondissement, un établissement trois étoiles déserté par les touristes accueille depuis juin dernier 36 femmes migrantes et leurs jeunes enfants.
Rien ne distingue l’hôtel « Rooms & Dreams » des autres établissements du coin. Excepté le ballet de femmes avec poussettes, qui ouvre et referme la porte de l’hôtel trois étoiles. À l’intérieur, Younès, le fils du propriétaire, maugrée en observant ses écrans de caméra de surveillance : « Ranger les poussettes, c’est une utopie ! ». La plupart des hôtels en France ont été contraints de fermer il y a plus d’un an, en raison de la pandémie de Covid-19. Mais l’établissement « Rooms & Dreams » a, lui, rouvert ses portes le 27 juin 2020. Le flot de touristes étrangers a cependant laissé place à une nouvelle clientèle de femmes migrantes seules, et de leurs enfants. Younès plaisante :
« Avant, j’étais invité par des touristes américains à Los Angeles. Maintenant je gère la psychologie de dizaines de femmes. » (...)
36 femmes et une soixantaine d’enfants vivent depuis des mois dans des chambres réparties sur six étages, dans ce lieu désormais dénommé La Maison des Fées. (...)
Plutôt que de garder porte close, Shérif, le propriétaire de « Rooms & Dreams », a décidé de travailler avec l’association Basiliade, habituellement engagée dans la lutte contre le Sida. Son équipe de cinq employés a lâché l’administratif, le règlement des chambres et les services petits-déjeuners pour de nouvelles tâches, comme l’explique son fils Younès :
« Désormais, je fais du social : je m’occupe des mêmes clientes tous les jours, il faut s’intéresser à leurs vies. J’aime bien, au moins on se rend utile, on se lève le matin et on se dit qu’on va aider les gens. »
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Ce havre de paix est géré par l’association Basiliade. Outre le logement, ces familles exilées bénéficient d’une aide financière sous forme de chèques-service (3,50 euros par jour et par enfant, et 6,50 euros par adulte), d’un accompagnement dans leurs démarches de régularisation et peuvent participer à des ateliers et des cours de langues. L’association a monté un partenariat avec la Direction régionale et interdépartementale de l’Hébergement et du Logement (Drihl) qui lui permet un financement de 34 euros par nuit et par personne, durant un an. Basiliade a ainsi avancé à l’hôtelier environ 660.000 euros, auxquels vient s’ajouter une aide de la Mairie de Paris. Le fonctionnement dans son ensemble s’élève à un million d’euros pour un an et le contrat va être reconduit au moins jusqu’à juin 2022. (...)
Awa a suivi son mari en Italie en 2003. Dans la Botte, elle s’est occupée des personnes âgées quand lui était dans la restauration. Victime de violences conjugales, Awa est alors revenue en Côte d’Ivoire. « Un jour, j’étais sortie de la maison pour faire des courses. Quand je suis rentrée, ma fille était en larmes. Ils l’avaient excisée. C’était horrible », se remémore Awa d’une voix calme. On lui explique que c’est la tradition, que son avis sur la question n’était pas nécessaire. Et que sa fille était en âge d’être mariée (...)
« Ça m’a définitivement poussée à quitter la Côte d’Ivoire. J’ai subi un mariage forcé et je ne veux pas la même chose pour elle, je veux qu’elle décide et fasse sa vie, sans pression. J’ai juste envie d’une vie meilleure que la mienne pour mes enfants. » (...)
« Arrivée en France, c’est là que la vraie galère a commencé. Je ne savais ni où aller ni où dormir, j’ai tellement pleuré. » Christel, 32 ans, est la coquette mère de jumeaux âgés de onze mois. L’Ivoirienne a elle aussi connu un périple traumatisant d’un an. (...)
. « Se retrouver là est un soulagement, après tout ce qu’on a traversé, on peut enfin se poser tranquilles ! », confesse-t-elle avec une certaine réserve. (...)
Il y a quelques jours, un nouveau local a été inauguré dans une rue contiguë à La Maison des Fées. À l’intérieur, des bureaux pour l’équipe de la Basiliade, qui assurera une permanence, une grande cuisine avec plusieurs grands frigos rutilants qui permettront aux femmes de vraiment cuisiner. La plupart d’entre elles se plaignent en effet de ne pouvoir le faire avec les deux plaques d’appoint de la cuisine actuelle, ni de conserver les plats dans les mini-bars de leur chambre. « On ne peut pas ramener notre marmite en haut dans la chambre car il n’y a pas d’ascenseur. Et la nuit, si l’enfant a faim, on fait comment ? », regrette Tania, l’air déterminé. Une immense salle centrale dans laquelle seront dispensés les cours permettra aussi aux femmes de laisser jouer leurs enfants dans un coin dédié. (...)
elles sont informées de leurs droits et ont accès aux soins médicaux dont elles ont souvent besoin. « Le top du top, c’est qu’elles sortent avec un emploi et un logement. » « La Maison des Fées aurait pu être un centre d’hébergement d’urgence lambda. Mais on tenait à en faire un havre de paix », souligne Samir Baroualia, directeur de Basiliade Paris, qui souhaite plus de liberté et d’autonomie pour les mamans exilées (...)