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le monde diplomatique
Ce train des miracles qui soigne les Sud-Africains
Article mis en ligne le 28 février 2014
dernière modification le 24 février 2014

Le système de santé sud-africain, défaillant, pâtit d’une fuite des cerveaux massive. Depuis près de vingt ans, un convoi de dix-huit voitures abritant diverses spécialités médicales sillonne le pays pour dispenser les soins de base à ses habitants.

Prendre la route plein ouest depuis Johannesburg vers la ville de Kathu revient à effectuer un voyage dans le temps. Les autoroutes laissent progressivement place à des chaussées vétustes bordées de veld (1). La voie se détériore encore passé la frontière invisible du Cap-Nord, la plus vaste et la moins habitée des provinces d’Afrique du Sud. Encore cinq cents kilomètres sur des lambeaux d’asphalte au milieu de paysages d’épineux, et presque aucun signe de vie. Puis Kathu, bourgade de dix mille habitants endormie sur les contreforts d’un chapelet de montagnes aux teintes mauves. De part et d’autre de la rue principale, un centre commercial, des échoppes de spiritueux et de luxueux lodges aux bars desquels, le soir, des jeunes filles accablées d’ennui sirotent des vodkas-fraise.

Plus vaste que l’Allemagne, le Cap-Nord, avec son million d’habitants, est « aussi désertique que déserté », dit-on ici. Pourtant, par une radieuse matinée de juin, une locomotive tractant dix-huit voitures, avec à leur bord des équipements médicaux ultramodernes, glisse sur le réseau ferré desservant ces confins du désert du Kalahari. Puis elle s’immobilise, au beau milieu des steppes, en station de Wincanton. Des affiches annonçant le passage du convoi ont été placardées dans toute la région, et les radios locales ont relayé la nouvelle. « Cela faisait deux ans que j’attendais ce moment ! », s’enthousiasme une habitante. Le Phelophepa est arrivé.

La notoriété du Phelophepa — « bonne santé » en dialectes tswana et sotho — s’explique par les difficultés de l’Etat sud-africain à fournir à ses cinquante millions de citoyens les services médicaux de base. (...)

Au sortir de plus de quatre décennies de politiques de « développement séparé », la jeune nation arc-en-ciel a hérité d’un système de santé de renommée mondiale, mais circonscrit aux zones géographiques à dominante blanche. Pour corriger ces déséquilibres, M. Nelson Mandela et ses successeurs ont mené une ambitieuse politique de développement des infrastructures publiques. Outre les réseaux de distribution d’eau et d’électricité, la construction et la rénovation de mille six cents hôpitaux « ont permis une répartition plus équitable de l’accès aux soins », dit Alex Van den Heever, professeur d’administration publique à l’université du Witwatersrand.

Mais, dans le même temps, « la qualité générale des services de santé s’est considérablement détériorée ». En cause : un plan de départs volontaires de médecins et de fonctionnaires, en grande majorité blancs, lancé par le gouvernement en 1997 afin de rééquilibrer la présence des Blancs et des Noirs dans les hôpitaux publics. « De nombreux professionnels sont partis dans le privé et, d’un seul coup, la mémoire du système s’est évaporée » (...)

« Le secteur de la santé est devenu l’otage des jeux de pouvoir dans les baronnies locales du parti. Clientélisme et corruption ont achevé de mettre le système à genoux. » Et rendu le Phelophepa d’autant plus indispensable. (...)

Plus de deux décennies après la fin de l’apartheid, la débâcle des services publics affecte cruellement le niveau de santé des Sud-Africains : espérance de vie de seulement 53,4 ans, 17,8 % de la population adulte séropositive ou atteinte du sida, 123e rang sur 187 Etats quant à l’indice de développement humain… Et, face à ces immenses défis, le pays ne peut compter que sur un seul médecin pour 4 219 habitants, soit l’un des ratios les plus faibles de la planète (...)