
(...) Pourquoi donc, en effet, depuis au moins quarante ans, des femmes et des hommes, pourvus du seul mandat que leur assigne leur conscience, se sont-ils d’abord substitués aux fautes des Etats, sur la scène internationale, mais aussi en interne (ex : les Restos du Coeur) ?
Pourquoi se sont-ils ensuite mobilisés pour dénoncer la confiscation de la souveraineté populaire au profit d’institutions supranationales (FMI, Banque Mondiale, OMC, Union européenne) aux pouvoirs contraignants dont la fonction première est de livrer les peuples et la planète à la discrétion des firmes transnationales et des banquiers ?
Pourquoi, aujourd’hui, se servent-ils des technologies de communication les plus performantes au moindre coût pour exprimer leur révolte contre les mensonges de ces institutions et des Etats qui les soutiennent, mensonges qui justifient guerres, invasions, occupations, privatisations, démantèlement des politiques publiques, atteintes aux libertés ?
N’est-ce pas plutôt la dilution des principes démocratiques, le recul de l’Etat de droit, la professionnalisation de la démocratie représentative, le mensonge érigé en méthode de gouvernement qui expliquent la formidable perte de confiance des citoyens dans les institutions dites démocratiques et qui constituent la principale menace contre le contrat social qu’invoque M. Rufin ? Une perte de confiance qui jusqu’ici s’est exprimée de deux manières : l’abstention lors des échéances électorales ou le soutien aux formations d’extrême-droite.
Ne convient-il pas dès lors de se réjouir de ce que les citoyens les plus attachés aux idéaux démocratiques privilégient des méthodes nouvelles de transgression de l’ordre établi et parviennent à montrer à la face du monde que le mensonge ça ne prend plus, que ce qui est présenté comme motivé par l’intérêt général ne sert en fait que des intérêts particuliers, que ceux qui ont la garde du contrat social ont renoncé ? (...)
Plus que jamais s’impose la formule de Montesquieu sur la nécessité d’opposer à tout pouvoir un contre-pouvoir. Et aujourd’hui face à la toute puissance du monde des affaires et de la finance, face au dévoiement de la démocratie par ceux qui devaient en être les gardiens, face au pouvoir des groupes médiatiques chargés de propager le prêt-à-penser néolibéral, un cinquième pouvoir s’impose. Celui des citoyens conscients et agissants. Ce n’est pas leur détermination qui présente un « visage extrême et inquiétant », M. Rufin. C’est ce à quoi ils s’opposent.