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Carton des rues, deviens livre ! La magique aventure d’Eloïsa cartonera
Article mis en ligne le 12 septembre 2015

Ecologiste et recycleuse, une petite coopérative d’édition fabrique depuis douze ans des livres à la main et avec le carton des cartoneros, à Buenos-Aires, dans le quartier populaire de la Boca. Créée durant la crise des années 2000, Eloïsa cartonera est une initiative originale qui fait des émules.

(...) Il s’agit d’une petite coopérative d’édition originale à plusieurs égards. Eloïsa Cartonera fabrique des livres à la main avec le carton des cartoneros. Cartoneros ? Souvent victimes de la crise des années 2000, oubliés du développement économique, ce sont les récupérateurs de rue. Des dizaines de milliers de personnes d’aspect plus ou moins misérables que l’on voit s’affairer, au milieu des voitures, sur les trottoirs en journée et surtout le soir lorsque les concierges et les bureaux sortent les poubelles. (...)

Ils remplissent et trainent d’énormes sacs plastifiés équipés de caddy, charriots divers, chevaux, vélos, ou camions pour les plus fortunés. Ils vivent dans les quartiers précaires des banlieues de Buenos Aires et se répartissent les ordures des quartiers de la capitale qu’ils fouillent pour en extirper les matériaux recyclables, carton, papier, plastiques. A leur compte, en famille, voire avec leurs enfants, organisés en coopérative pour beaucoup, ils trient au quotidien des milliers de tonnes de déchets recyclables dont Buenos Aires peine à organiser la collecte : 15 000 tonnes par jour pour 13 millions d’habitants. Un cartonero peut collecter entre 100 et 200 kg d’emballages par nuit (source IWPAR-2011) revendus à des entreprises spécialisées ou au centre de gestion des ordures (CEAMSE).
Pénurie de papier

Eloïsa Cartonera a été créée dans le contexte de crise économique et sociale profonde à la fin des années 90 et au début des années 2000. En 2003, malgré la pénurie de tout, et surtout de papier et de monnaie, une poignée d’amis rêvent de livres. C’est l’époque où les gens en colère manifestent. Sur le pavé se côtoient différentes classes sociales et des mouvements citoyens éclosent. Le petit groupe « découvre » les récupérateurs de rue dont l’activité après avoir été longtemps interdite, redevient légale. L’idée de leur acheter directement du carton et d’en faire des couvertures de livres naît en même temps que la coopérative éditoriale.

En 2015, l’éditeur existe toujours. De l’impression à la vente, cinq coopérateurs font tourner la maison (...)

De pagination modeste, les livres de Eloïsa cartonera sont vendus dans un kiosque sur l’avenue Corriente, l’une des grandes artères du centre de la ville, et aussi sur les foires, les marchés, et dans certaines librairies. « Nous n’avons pas vraiment de planification, nous publions au fur et à mesure des rentrées d’argent », reconnaît Alejandro. Si les photocopies des cahiers intérieurs sont réalisées à l’avance à hauteur de 500 à 2000 exemplaires, les livres-objet avec leurs couvertures de carton ne sont fabriqués qu’en une dizaine d’exemplaires à la fois, parfois moins.

Lorsque Eloïsa Cartonera vend bien, elle refabrique au fur et à mesure des besoins et du temps de chacun, car les sociétaires ont une autre activité rémunératrice. Mais le collectif fait parfois appel à des habitants du quartier comme cette jeune femme avec son bébé venue donner un coup de main. « Elle a cinq enfants ; l’activité lui permet une reconnaissance sociale et un apport économique », explique Alejandro tout en divisant les vieux cartons au format des couvertures. (...)

En douze ans, la coopérative a publié près de deux-cents titres de littérature latino-américaine, tous genres confondus, roman, poésie, « qu’on ne trouve nulle part ailleurs », précise l’éditeur. Certains titres sont même bilingues, ou intégralement en anglais ou en français. « Les ouvrages partent bien car ils ne sont pas très chers », précise Alejandro. Autour de 20 pesos argentins (environ 2 dollars américain).

D’ordinaire, les cartoneros vendent le carton au kg pour environ 1,5 dollar américain. Les prix fluctuent selon le cours des matières premières secondaires. Eloïsa Cartonera, elle, leur achète à l’unité (la boîte en carton) 0,50 dollar (américain) en moyenne. Tarif plus juste pour les cartoneros selon Alejandro et qui reste intéressant pour le collectif. Chacun y trouve son compte. (...)

Socialement intéressant, culturellement productif, écologiquement responsable, le projet fonctionne, bon an mal an, et perdure dans un équilibre sans cesse renouvelé.

Pionnière, selon Alejandro, l’aventure éditoriale a fait des émules en Amérique Latine : « Il existe près de trois-cents projets du même type, estime-t-il, parce que faire des livres en carton ne revient pas cher. » A ceux qui pensent que l’écologie et le social c’est coûteux financièrement et peu productif, Eloïsa Cartonera prouve l’inverse.