
Alors que l’opération Wuambushu n’a toujours pas démarré à Mayotte, les autorités françaises ont tout de même procédé à une première opération de démolition d’un "petit bidonville" ce jeudi dans le nord de l’île, à Longoni. Une dizaine d’habitations ont été rasées, un objectif bien loin des "1 000 destructions en deux" évoquées par Gérald Darmanin.
(...) c’est la première opération de démolition depuis le début de Wuambushu, l’opération voulue par Gérald Darmanin afin de lutter contre la délinquance, l’immigration illégale et les bidonvilles sur l’île aux Parfums.
Alors que l’opération commence et que les engins abattent frénétiquement leur pelle sur les logements illégaux pour les faire céder, Zarianti Bina, une Mahoraise de 32 ans, robe à fleurs et lunettes sur le nez, s’époumone devant les gendarmes qui bouclent le périmètre. Sa mère "avait un logement ici !". (...)
"On n’a eu aucune notification, c’est la surprise", tance-t-elle. "Moi, je ne savais même pas [que le lieu allait être rasé]. Mon père m’a appelé ce matin en me disant : ’Ils vont démolir, ils sont déjà là-bas. Ça ne se fait pas’", s’indigne-t-elle.
"Vous n’avez pas de cœur"
Selon la jeune femme, sa mère avait un champ ici. "Elle dormait là. Mon père avait des projets aussi", s’énerve-t-elle. "On reste là, on regarde. Vous voulez qu’on fasse quoi ? Rien du tout. On ne peut rien faire", se résigne-t-elle. "Vous n’avez pas de cœur", hurle encore Zarianti aux gendarmes qui interdisent à tout habitant de rentrer dans la zone des opérations.
À ses côtés, une autre femme porte un m’sindzano sur le visage, un masque traditionnel porté par de nombreuses femmes à Mayotte. Elle ne parle pas français mais crie de désespoir, recouvrant presque les bruits de la tôle qui craque. "C’est sa maison qu’ils sont en train de détruire", explique un homme, polo bleu sur le dos assorti d’un pantacourt noir, venu regarder ce qu’il se passe. "Ça fait mal de voir ça. C’est pas normal. On a l’impression que l’opération se retourne contre nous", regrette-t-il. (...)
Plus loin, un homme en situation irrégulière laisse éclater sa colère : "C’est inadmissible ce qu’il se passe à Mayotte. Nous ne sommes même pas pris en considération, nous ne sommes rien pour les autorités locales ou l’État", estime-t-il. Il a déposé un dossier pour un titre de séjour et attend une réponse depuis 2013, assure-t-il. Et depuis, "aucune suite", s’agace cet homme.
Maigres résultats
Selon le préfet de l’île, Thierry Suquet, présent à Longoni, il n’y avait aucun habitant permanent dans ce bidonville et tous ceux qui y avaient une construction ont eu une proposition d’hébergement.
Tout autour de la zone, des dizaines d’habitants contemplent la destruction. Aujourd’hui, leurs habitations resteront debout. Jusqu’à quand ? Ce jeudi, seules une dizaine de cases sont abattues, un chiffre bien inférieur aux 80 "bangas" de Talus II voués à la démolition, suspendue par la justice au dernier moment. L’objectif est de libérer le terrain pour la construction d’un nouveau lycée. (...)
Cette démonstration est aussi une manière pour le préfet de venir dire que Wuambushu n’est pas en péril. Car depuis le début, les déboires se multiplient pour cette opération spéciale tant vantée depuis des semaines. Le conflit diplomatique avec les Comores voisines, où sont expulsés la quasi-totalité des sans-papiers, bat son plein. Et Moroni refuse de reprendre ses ressortissants.
Faut-il donc s’attendre à un "coup d’accélérateur décisif" dans les prochains jours ? Pas encore. Côté autorités, on évoque maintenant de nouveaux projets de démolition qui s’étendront jusqu’à "fin 2024, à minima". "Nous sommes dans une politique de longue durée" qui s’étendra bien "après" Wuambushu, assure Thierry Suquet. Il précise également que "2 000 habitats insalubres” ont déjà été démolis en deux ans. (...)