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CHRONIQUES SCOLAIRES (1) – L’école et la violence
Article mis en ligne le 1er mai 2016
dernière modification le 28 avril 2016

Chaque mois la « chronique scolaire » passe l’éducation au crible des sciences sociales. Dans ce premier article, elle ramène à sa dimension sociologique la question politique des violences à l’école.

Chaque mois la « chronique scolaire » passe l’éducation au crible des sciences sociales. Dans ce premier article, elle ramène à sa dimension sociologique la question politique des violences à l’école.

« Montgeron. Ils bloquent l’école pour dénoncer la violence d’un élève de CM1 », titre Le Parisien en ligne du 12 avril 2016 dans sa rubrique « Actualités » pour l’Essonne. Il ne passe pas une semaine sans qu’on parle dans la presse des violences à l’école de la République. Plus grave, il ne passe pas un jour, dans certains établissements, sans qu’un(e) enseignant(e) ne débarque, plus ou moins visiblement épuisé(e) ou émotionné(e) en salle des profs, pour raconter le dernier incident qui l’a opposé(e) à tel élève bien connu pour ses perturbations ou à telle classe particulièrement peu appréciée. Les conseils de classes ne vont pas, eux, sans leur lot d’avertissements de comportement et de remarques de bas du bulletin contre l’indiscipline en classe. Parler, du point de vue des sciences sociales, de violence à l’école n’est pas simple. D’abord parce que le mot violence n’est pas facile à définir. Ensuite parce que la question de la violence est avant tout une question politique qu’il convient de ramener, pour l’analyser dans le cadre scolaire, à sa juste dimension sociologique.

Un mot, plusieurs définitions

On peut définir la violence de trois manières au moins. (...)

Mais cette violence sociologique n’est pas dépourvue de conditions sociales, et on peut y inclure la violence symbolique définie par Pierre Bourdieu comme l’imposition à eux-mêmes par les individus des structures naturalisées de la domination sociale. Reste que la violence symbolique est une violence elle-même naturalisée – ce qui fait qu’elle n’est plus perçue comme telle.

Les trois définitions pourraient s’appliquer au cadre de l’institution scolaire. (...)

Le discours public sur la violence à l’école est monopolisé (pour des raisons évidentes de contrôle des espaces d’expression) par les adultes, qu’il s’agisse des familles ou des professionnels. Le discours des enfants et des adolescents eux-mêmes est fortement encadré (...)

Il faut noter que la question du comportement des élèves est omniprésente dans les jugements scolaires. Les enseignants, sans que cela fasse l’objet d’un discours explicite, évaluent les élèves en fonction de leur comportement, y compris quand il s’agit uniquement de mesurer leur performance scolaire, comme ont pu le montrer les travaux du psycho-sociologue Halim Bennacer .

Il faut donc bien admettre que la « violence » – un terme du langage commun – recouvre des enjeux polysémiques qui relèvent à la fois de la subjectivité des acteurs impliqués dans la gestion locale de l’ordre scolaire mais aussi des jugements politiques et sociaux plus larges. (...)

Si les acteurs n’emploient pas forcément, quand ils décrivent les faits, le terme de « violence », la forte dimension émotionnelle de leur discours, telle qu’on peut l’éprouver dans les établissements, peut amener à considérer que la situation dans laquelle ils s’expriment est vécue par eux comme violente. Or cette perception violente de la réalité renvoie à une violence plus générale des relations entre enseignants et élèves, qui s’exprime par des comportements d’indiscipline plus ou moins graves et plus ou moins envahissants.

De l’école de l’élite à la démocratisation du désordre scolaire (...)

Entrent en interaction les représentations différentes et non homogènes des différentes catégories de professionnels et leurs actions, les politiques de l’école, de l’orientation et de l’affectation scolaire, les représentations et les actions des familles, elles-mêmes potentiellement le lieu d’un conflit entre l’enfant et les parents et la scène de conflits, notamment symboliques (impliquant la relation aux parents, mais aussi à la fratrie, voire à d’autres membres de l’entourage), qui peuvent se cristalliser sur la question scolaire et qui échappent largement à l’observation.

Le terme de « chahut » et les mots de la même famille (« chahuteur », « chahuter ») semblent pourtant absents du vocabulaire des professionnels de l’éducation, que ce soit dans les établissements ou dans la littérature pédagogique. Et si l’on recherche « chahut école » dans Google, on peut voir que sur la toile, cette notion semble davantage appartenir au monde enchanté de l’enfance et à son souvenir nostalgique qu’à une préoccupation liée à l’institution scolaire.

La sociologie semble s’être peu intéressée au phénomène du chahut. (...)

Il faut bien insister sur un constat : l’analyse sociologique ne fait pas confiance aux élèves. Même quand elle quitte le terrain politique de la violence pour s’attacher à la question de l’ordre scolaire, tout comme la vision subjective des professionnels, elle peine à se démarquer d’une vision surplombante.

Peu de réflexions cherchent à prendre au sérieux la capacité des élèves à refuser un ordre qu’ils ressentent comme injuste tant l’impression est forte que ces derniers se laissent emporter dans quelque chose qu’ils ne contrôlent pas tout à fait.

De ce point de vue, on pourrait se demander si un renversement de perspective ne permettrait pas de renouveler les analyses. (...)