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« C’est une pionnière » Sara Jubara, la toute première entraîneure de foot du Soudan, réfugiée à Paris
#femmes #Soudan #foot
Article mis en ligne le 19 juin 2023

Il y a 15 ans, Sara devenait la première femme coach officielle du Soudan. Malgré la charia, elle a tenu tête et a fortement contribué à développer le football féminin. Réfugiée à Paris depuis 2019, elle entraîne plusieurs équipes associatives.

– « Ils pensaient que les femmes ne pouvaient pas jouer au foot et que si elles le faisaient, elles perdraient leur virginité. » Quand Sara Jubara parle des conditions de vie des Soudanaises, elle ne sourit plus et parle doucement. Elle, « qui a toujours le sourire et un mot attentionné pour l’autre », comme le raconte avec affection Cécile Chartrain, la créatrice des Dégommeuses – une équipe féministe intersectionnelle, qui lutte contre les discriminations dans le sport et par le sport –, que Sara entraîne désormais. À 36 ans, Sara Jubara a lutté des années pour faire ce qu’elle aime plus que tout au monde : du football. Elle est depuis 2019 réfugiée en France où elle travaille comme entraîneure pour cinq équipes. Parmi eux, trois équipes de petits à Marly-le-Roi (78), et deux équipes féminines associatives, Kabubu et les Dégommeuses à Paris. (...)

À 6.000km du Soudan, où son histoire a commencé. En 2008, âgée de 20 ans, elle est repérée par la Confédération africaine du football (Caf), qui chaque année lui paye des cours pour devenir coach et tente de forcer le Soudan à donner de l’argent aux équipes féminines. Subventions dont Sara Jubara ne verra jamais la couleur : les organisations sportives du pays l’auraient gardé pour eux, par « peur de représailles du gouvernement », comme le raconte la jeune coach. Grâce à la Caf, Sara voyage dans le monde, de Dubaï où elle se cassera la jambe et ne pourra plus jouer au foot, au Japon, en passant par les États-Unis, et bien sûr l’Afrique.
Jouer sa vie

Il y a encore peu de temps, dans son pays, Sara jouait presque sa vie en se risquant au foot. Celle qui évoluait au sein de la seule équipe féminine du Soudan rêvait de se mesurer à d’autres teams. Alors vingtenaire, elle entame son premier projet sportif : tous les vendredis à partir de 2009, elle se rend bénévolement dans les grandes villes du pays pas encore divisé : Khartoum, El Obeid, Djouba… Elle y a rendez-vous avec des femmes pour les entraîner au football, et les inciter à se constituer en équipes. L’opération de Sara s’arrête en 2011, année où le Soudan du Sud reprend son indépendance après des décennies de guerre, de pourparlers fastidieux et un référendum. Malgré l’arrêt du projet, c’est une première victoire : elle a réussi à donner la force de jouer à des dizaines de femmes.

À cette époque, le Soudan de Omar El Bechir, dictateur islamiste, est régi par la charia : « Un jour, un imam nous a crié dessus : “Les femmes ne doivent pas jouer au foot ! C’est haram [interdit en arabe ndlr] !” ». Mais rien n’arrête Sara : « Ce jour-là, j’ai tenu tête, j’ai forcé : “Non, on jouera aujourd’hui” ! », raconte-t-elle en anglais, qu’elle maîtrise pour le moment mieux que le français, bien qu’elle le comprenne. À partir de ce moment, elle changera de terrain à chaque entraînement. (...)

Sur les terrains de foot, il lui arrive de porter le hijab, même si elle est chrétienne, « pour éviter les problèmes ». Sara décide alors de nommer son équipe Al Tahadi : le défi, en arabe.

« Les femmes sont l’avenir du football »

Son amour inconditionnel pour le foot, Sara le tient de son père, lui-même champion athlétique du Soudan dans les années 70 (...)

Esprit libre, elle continue sa vie et ses entraînements à travers le monde (...)

En août 2019, Sara Jubara quitte officiellement le Soudan et obtient l’asile en France. Deux mois plus tard, « le premier championnat féminin est organisé au Soudan », déclare Sara avec toute la fierté que ses yeux brillants peuvent transmettre. « Il y a 21 équipes de femmes qui peuvent jouer au foot ! Elles ne sont pas très bien organisées, mais elles peuvent. » L’histoire de Sara et de l’équipe Al Tahadi est d’ailleurs racontée dans le documentaire Khartoum Offside, sorti en 2019, qui a remporté de nombreux prix (Africa Movie Academy Awards, Berlinale…). La réalisatrice, Marwa Zein, n’hésite pas à qualifier Sara Jubara de « force de la nature ». Selon elle, qui a passé près de quatre ans à tourner Khartoum Offside à ses côtés : « Sara a joué un rôle essentiel et gigantesque pour le football féminin au Soudan. » (...)

Sara se sent-elle féministe ? « Je ne sais pas, mais je soutiens la cause. Les hommes ne nous soutiennent pas forcément. Nous, femmes, devons nous serrer les coudes », revendique-t-elle. En tout cas, elle entraîne désormais les Dégommeuses (...)

« Ma mère et ma sœur sont en difficulté à Khartoum, la capitale du Soudan [une guerre a commencé entre deux généraux désireux de prendre le pouvoir, le 15 avril, ndlr]. Je ne peux même pas leur envoyer de l’argent. » (...)