Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Bizutage dans l’armée de l’air : les photos de la honte
Article mis en ligne le 8 mai 2021

Après un bizutage particulièrement violent durant lequel il a été ligoté à une cible et visé par des avions de chasse, un pilote affecté à la base aérienne 126 de Solenzara (Corse) a porté plainte contre X pour « violences volontaires aggravées » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Mediapart révèle les photos et vidéo de cet épisode qui ternit encore l’image d’une armée de l’air déjà éprouvée par des affaires de harcèlement présumé sur la base de Nancy.

« Sac sur la tête », « poignets et genoux ligotés au Scotch », « attaché contre un poteau avec des sangles », « bruits d’obus qui se fracassent »... Le récit de la journée en enfer vécue par le pilote A. S. est déjà marquant en version écrite, récit retranscrit dans la plainte contre X qu’il a choisi de déposer ce mercredi 5 mai et révélé par La Provence.

Il l’est encore plus accompagné de documents qui ne laissent aucun doute sur la gravité du bizutage (qui est un délit) subi par ce jeune pilote de l’armée de l’air le 27 mars 2019, sur la base aérienne de Solenzara (Corse) : les photos et vidéos prises par les auteurs des faits eux-mêmes, que Mediapart a pu se procurer.

On y voit quasiment tout, des premières brimades au final ahurissant de cette journée : A. S. ligoté à un poteau, sac sur la tête, survolé par des Mirage.

À son arrivée dans les locaux de l’escadron 2/5 Île-de-France, prestigieux escadron de chasse de l’armée française doté de Mirage 2000, A. S. essuie d’abord les remarques sarcastiques de ses nouveaux collègues. Le ton est encore gentillet : on le met dans une tenue de survol maritime étanche, que l’on gonfle, et on lui demande de faire « l’horloge humaine » - de tendre les bras pour figurer les heures et les minutes. (...)

Les choses commencent à prendre une tournure moins anodine lorsque, pris en charge par d’autres militaires, on lui met un sac à casque sur la tête. A. S. est alors, selon le récit qu’il fait dans sa plainte, « transporté dans un véhicule personnel pour un trajet d’environ trente minutes ». Sur une photo prise durant ce trajet, on voit trois militaires encadrer le pilote (qui a toujours un sac sur la tête), hilares. (...)

Les brimades et violences montent encore d’un cran lorsque, sorti de cette voiture, A. S. est confié à un nouveau groupe de militaires, qu’il ne connaît pas. Là, il est ligoté avec du Scotch : ses poignets, le haut de ses genoux et ses cheville sont entravés. Il est jeté à l’arrière d’un pick-up. (...)

Les collègues du jeune militaire continuent de prendre en photo leur forfait. (...)

Il est attaché à un poteau avec des sangles. Ce n’est qu’une autre dizaine de minutes plus tard, en entendant des bruits de réacteurs d’avion de chasse, qu’A. S. comprend qu’il est sur un champ de tir et que le poteau auquel il est maintenu entravé est une immense cible rouge. (...)

Les avions font des norias en virage par la droite pour se repositionner et effectuer tantôt des tirs réels sur la droite de la victime, tantôt des tirs simulés en direction de celle-ci, le tout pendant une dizaine de minutes. » La simulation de mise à mort se poursuit ensuite, mais cette fois le pilote peut y assister de visu : on lui retire le sac de la tête. Des tirs réels sont effectués à une distance de 500 mètres de lui, estime A. S. Le supplice dure une vingtaine de minutes. (...)

Lorsqu’il est enfin détaché, le pilote doit retourner vers le véhicule en sautant à pieds joints : le Scotch de ses pieds n’a pas été détaché. Ses camarades continuent de filmer. (...)

À la suite des révélations de La Provence sur le cas de ce pilote, l’état-major a fait savoir qu’une enquête interne (dite « de commandement ») avait été ouverte « pour faire toute la lumière » sur les faits, et qu’elle avait abouti à « des sanctions fermes », sans préciser ni leur nature ni le nombre de personnes concernées. Selon le journaliste spécialisé dans les questions de défense Jean-Marc Tanguy, cette sanction consisterait en des jours d’arrêt.

Cet épisode fait suite à une autre affaire de mauvais traitements, elle aussi révélée par la presse : le harcèlement présumé de plusieurs militaires de la base aérienne 133 de Nancy. Six militaires ou ex-militaires de tous grades ont porté plainte en janvier 2021 pour harcèlement moral. Ils rapportent des insultes, des brimades et des humiliations. Les auteurs des faits, déjà, avaient prétexté l’intégration et le « bizutage » pour justifier leurs agissements.