
Un temps éclipsé par les tensions avec les États-Unis, le soulèvement populaire a vite repris contre le régime iranien. Face à la censure de l’information, plusieurs membres du collectif « La Chapelle debout », qui suivent la situation de près, décrivent dans ce texte l’état de la mobilisation et la situation dans le pays. Ils en appellent à la solidarité avec les Iraniens et Iraniennes en lutte.
« Iran, France, Irak, Chili, Liban... même combat »
Mi-novembre 2019 a éclaté en Iran un soulèvement populaire, qui a été fortement réprimé. Au moins 304 personnes ont été tuées, 7000 emprisonnées, mettant fin, pour un temps, à la contestation. Mais le 7 décembre 2019, trois semaines après la répression sanglante, les étudiant-e-s iranienne-e-s se sont encore rassemblé-e-s dans plusieurs universités pour montrer que la lutte se poursuit. Ils brandissent des banderoles dans plusieurs villes, s’adressant à tous les peuples en lutte : « Iran, France, Irak, Chili, Liban ... même combat ». (...)
Les villes pauvres et périphériques connaissent autant de révoltes que la capitale. À Téhéran, le soulèvement surgit plutôt dans les quartiers de l’est et du sud-ouest, des zones pour la plupart marginalisées et pauvres. Le mouvement est marqué par la colère des manifestant-e-s qui affrontent courageusement la police (les Basidjis et les Gardiens de la Révolution), mettent le feu aux banques, aux stations de service, aux bureaux des représentants du guide suprême, à quelques palais de justice et commissariats, aux bases des Basidjis et à d’autres bâtiments étatiques.
À Sadra (localité de Chiraz), au sud-ouest du pays, après que le guide suprême a appelé à réprimer des « Ashrâr » (malfaiteurs) – nom donné au peuple en lutte –, les gens attaquent la résidence de l’Imam du vendredi – une instance politique, chargée de la propagande et désignée par le guide suprême. Un hélicoptère arrive et les disperse à balles réelles. Dans plusieurs villes comme Téhéran et Ispahan, les gens bloquent les autoroutes.
Dès le début, les slogans visent le régime. On scande « L’essence n’est qu’un prétexte, la cible c’est tout le système ». Dans plusieurs villes dont Chiraz, les slogans s’en prennent directement au guide suprême et au principe du Velayat-e Faqih (le « gouvernement du docte »). À Eslamshahr, ville ouvrière où se trouve l’un des plus grands bidonvilles du monde, un homme filme son portrait géant en flamme. À la fac de Téhéran où l’on scande « Étudiant, ouvrier, debout dans les tranchées ! », les étudiant-es en lutte s’enferment dans le campus pendant quatre jours. Les Basidjis entrent alors dans la fac cachés dans des ambulances, et enlèvent les étudiant-e-s.
Une révolte héritière de quatre années de contestation
Il s’agit du troisième grand mouvement populaire en dix ans. (...)
En 2017, plus de 90 villes sont, pendant plus d’une semaine, les scènes d’une révolte contre la vie chère et le chômage. (...)
La République Islamique d’Iran, malgré les conflits géopolitiques dont les grands perdants sont toujours les peuples opprimées de la région, se plie, comme on l’a vu au moment de l’accord de Vienne en 2016, à l’ordre international dominant, dès lors que les intérêts de sa classe dirigeante le nécessitent. Elle s’accommode très bien du modèle néolibéral dictée par les grandes puissances capitalistes. Dans la région, ses politiques d’intervention rencontrent de plus en plus l’hostilité des Iraniens ainsi que des populations concernées – comme on le voit actuellement en Irak et au Liban, ainsi qu’en Syrie depuis 2011.
Il est maintenant temps pour la gauche occidentale, qui hésite souvent à soutenir les soulèvements populaires sous couvert d’un « pseudo anti-impérialisme » [7], de choisir son camp [8]. Celle-ci doit bien-sûr agir contre les embargos et les menaces de guerre impérialiste qui font souffrir le peuple iranien et qui renforcent le pouvoir répressif du régime. Mais la révolte populaire de novembre 2019 vise aussi le système politique en place, dans sa totalité, annonçant une probable guerre de classes. Les révolté-e-s envoient un message clair de soutien aux peuples en lutte partout dans le monde. Il est temps de partager les expériences de toutes ces luttes en cours, de créer des liens effectifs entre elles. Ce combat n’a pas de frontières.