
La domination adulte… qu’est-ce que ça veut dire ? Les adultes aident les jeunes de l’espèce, qui ne pourraient pas vivre seuls, les nourrissent, les élèvent, bref, sont leurs bienfaiteurs… Domination ? Mais de quoi parlez-vous ?
Eh bien on parle en effet d’une domination, et même d’une appropriation de la partie jeune de la population, par la population adulte
Revenons en arrière. La familia romaine, ce n’était pas notre famille contemporaine, mais celle-ci est l’héritière de celle-là. La familia désigne l’ensemble des parents adultes, des enfants, des domestiques et des esclaves possédés par le pater familias. Il a droit de vie et de mort sur les membres de sa familia. Son épouse fait partie de cette familia. Le travail de tous les membres de la familia est dû au pater familias.
Que reste-t-il dans la famille actuelle de cette familia ? Il reste que les femmes ont mis des siècles – et des luttes – à récupérer leur force de travail pour elles-mêmes, à pouvoir la vendre et être rémunérées. Et jusqu’en 1907 elles ne pouvaient pas garder pour elles cette rémunération (en France). Jusqu’en 1965, un mari pouvait s’opposer à ce que sa femme travaille « au dehors ». Jusqu’à la même date, une femme mariée ne pouvait pas ouvrir un compte en banque séparé sans l’autorisation de son mari. (...)
Si les lois permettent aujourd’hui que femme et mari s’associent, ce qui n’était pas le cas jusqu’au milieu du XXe siècle, elles sont rarement utilisées, et quand elles le sont, elles ne garantissent toujours pas aux femmes une charge de travail équitable, un pouvoir équitable, et une retraite équitable.
Et les enfants ? Jusqu’au XXe siècle, les enfants, comme les femmes, comme les frères cadets et les sœurs célibataires vivant dans la famille, étaient une force de travail gratuite pour le chef de famille. Qu’il utilisait comme il voulait. Souvent en « plaçant » ses enfants comme domestiques chez d’autres agriculteurs ou artisans ou bourgeois, qui lui versaient le salaire de la fille ou du fils.
Aujourd’hui, ceci scandaliserait, dans les pays occidentaux. « Pourquoi ces enfants ne sont-ils pas à l’école ? » demandent régulièrement des journalistes français dans des reportages sur l’Inde ou l’Ethiopie, sans se demander si, pour commencer, il y a des écoles. Il n’y a souvent pas d’écoles, ou pas assez, ou trop loin. Mais surtout, les pères ne veulent pas se priver de la main d’œuvre de leurs enfants. Le système qui était majoritaire il y a seulement 100 ans dans une Europe essentiellement rurale, est le système qui est le plus répandu dans le monde, un monde où 80% de la population vit de l’agriculture et où prédomine le mode de production domestique.
C’est un mode de production qui ne se limite pas à notre « famille conjugale », mais concerne une famille élargie beaucoup plus grande, et qui fixe, à chaque échelon de parenté avec le chef, les devoirs et les privilèges. Les droits humains, fondés sur la notion de personne, ne peuvent exister car les individus ne sont pas, par définition, égaux entre eux, mais au contraire définis par leur inégalité même : à un degré de parenté du chef de famille, à deux, à trois, etc. Et de plus, femmes ou hommes. Et enfants ou adultes. Et libres ou esclaves.
Le statut d’enfant – le statut de « mineur » – est, y compris dans nos sociétés « développées », un statut d’infériorité sociale générale, d’incapacité légale, de subordination, et d’appropriation. (...)