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Aux urnes au Rojava !
Article mis en ligne le 9 février 2018
dernière modification le 8 février 2018

La bagatelle de trois scrutins échelonnés de septembre 2017 à janvier 2018 ! Pas mal pour un territoire qui n’avait pas connu d’élection libre depuis le coup d’État de la junte en 1963. Et qui met les bouchées doubles pour mettre en place une Fédération démocratique du nord de la Syrie.

C’est que la société syrienne n’est pas accoutumée aux élections démocratiques : il n’y en a pas eu depuis le coup d’État de la junte militaire, en 1963, puis la prise de pouvoir de Hafez el-Assad (père de Bachar) en 1970. Autant dire un bail. « Depuis les débuts de la Révolution en juillet 2012, nous attendions ce jour où nous pourrions appeler les gens à voter, s’enthousiasme le militant. Peu importe qui sera élu ou quel parti l’emportera. Ce qui compte, c’est que la société puisse enfin donner son opinion et valider ce nouveau système démocratique. »

Éviter la guerre civile

Abdulkarim ne se contente pas de tracter – il est aussi actif au sein de l’Assemblée du peuple de sa commune. Répartis sur tout le territoire, ces organes constituent de nouvelles entités administratives, à la base de l’organisation en fédération et regroupant chacune une centaine de familles. Leurs missions sont larges – « Tout ce qui se passe dans le quartier, de l’approvisionnement en eau à l’entretien de l’école. » Pour satisfaire au mieux les besoins, le travail est réparti en commissions. Dans la commune d’Abdulkarim, une commission de résolution des conflits permet ainsi de régler les bisbilles entre voisins, tandis que les membres de la commission pour l’économie s’emploient à mettre en place des coopératives de production, comme alternative au système capitaliste.

Mais ce n’est pas tout. Depuis que le peuple du Rojava a pris les rues et les armes, en chassant une grande partie des forces du régime, toute une nouvelle structure démocratique a vu le jour. Les communes, coopératives et associations ou organisations des femmes et de la jeunesse sont rassemblées au sein du TEV-DEM (Mouvement pour une société démocratique), afin de permettre une meilleure coordination entre les différents groupes sociaux et territoires. Abdulkarim en est persuadé : ce système « a évité une guerre civile au nord de la Syrie en faisant cohabiter toutes les cultures, religions et populations ».

«  Deux arbres par personne   »

Comme tous les aspects de la vie et de l’organisation politique ne peuvent être traités au seul niveau des communes, des assemblées représentatives pour les échelons administratifs (provinces, cantons et régions) ont aussi été créées. Ce sont justement les membres de ces assemblées qui viennent d’être élus début décembre (...)

Le tract distribué par Abdulkarim liste ainsi les propositions. À commencer par cette revendication de « deux arbres par personne et un arbre devant chaque maison », pour remédier à la pauvreté de la flore, conséquence de la politique de monoculture intensive imposée autrefois par le régime dans cette région, souvent appelée le « grenier à blé » de la Syrie. De la même manière, l’ambition d’une coexistence pacifique entre les communautés répond aux tentatives de division de l’État syrien, qui avait mené des opérations de remplacement de populations, notamment en offrant de grandes propriétés terriennes à des familles arabes, au détriment de certains paysans kurdes. Sur les immeubles, les panneaux appelant à voter s’affichent d’ailleurs dans les trois langues officielles de la région, kurde kurmancî, arabe et syriaque. Ce scrutin de décembre fait suite aux élections communales, qui se sont tenues en septembre dans 4 600 agglomérations. Et ce n’est pas encore fini : le troisième étage de la fusée démocratique est prévu pour le 19 janvier prochain, avec l’élection des assemblées des trois régions (Efrîn, Firat et Qamishlo) et celle des 300 membres de la future Fédération.

«  Parler sur un pied d’égalité   »

Tout a été prévu pour assurer la meilleure représentation possible. Les instances élues sont, ou seront, composée pour moitié de femmes. Le règlement des élections prévoit aussi « que tous les groupes ethniques, culturels et religieux soient représentés dans les conseils » : un quota de 40 % des sièges leur est réservé, ainsi qu’aux représentants de la jeunesse. Le mode de scrutin, proportionnel, permet à la fois la présentation de listes fermées et de candidatures individuelles (...)

« Nous voulons la reconnaissance de notre système, explique-t-elle. Nous souhaitons parler sur un pied d’égalité avec les autres États du futur de la Syrie. Ces élections exercent donc une double fonction : confirmer la démocratisation de la société et légitimer le statut de notre fédération. » Indispensable. C’est que jusqu’à présent, les conseils du Rojava ont été tenus à l’écart des pourparlers sur la situation de la Syrie, sous la pression de l’État turc. Hediye a très à cœur que cela change et que les autres puissances de la région reconnaissent la Fédération, en tant que région autonome de l’État syrien : « Nous souhaitons répandre l’idée du confédéralisme démocratique, qui est aussi une solution pour toutes les régions du Moyen-Orient. »

Vers la démocratie directe (...)

ans certaines rues, des affiches pour les élections recouvrent les murs. Mais aux entrées des zones tenues par le régime flottent d’immenses bannières représentant Bachar el-Assad. Un peu plus loin, les Asayiş, forces de sécurité intérieure kurdes, dont les voitures des unités féminines portent l’inscription « Jin jiyan azadî » (« Femme, vie, liberté »), contrôlent les voitures aux carrefours. Même à Qamishlo, relativement protégée des combats, la guerre n’est jamais loin. (...)

Sa situation reste néanmoins dépendante des agissements des puissances voisines, Turquie en tête. Erdogan met ainsi tout en œuvre pour stopper ce projet d’autonomie. L’occupation par l’armée turque des environs d’Idlib fait peser une lourde menace sur la région d’Efrîn. Et le contrôle de l’Euphrate en amont du Rojava permet à la Turquie de garder la main sur l’approvisionnement en eau.

Reste que le projet d’une nation démocratique se fait chaque jour plus concret. (...)