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Autisme et inclusion : lettre ouverte à la direction de la chaîne M6
/Savannah Anselme, sociologue
Article mis en ligne le 31 janvier 2022

Découvrir qu’on est autiste à l’âge adulte. Comprendre alors que l’autisme n’est pas du tout ce que l’on croyait. En parler à ses proches. Être confronté à leur déni. Reconstruire peu à peu des liens de confiance avec des personnes qui comprennent et acceptent nos différences malgré les idées reçues. Regarder une émission de M6. S’effondrer. Se relever. Se battre.

A l’attention de la direction de M6,

L’autisme a été déclaré grande cause nationale par le Président de la République au début de son quinquennat. De toute évidence, c’est une cause que vous avez voulu médiatiser en organisant une soirée spéciale sur votre chaîne mardi 25 janvier 2022. Nous ne doutons pas de la bonne volonté dont vos équipes ont dû faire preuve pour cela. Cependant, nous sommes de très nombreux autistes à avoir été bouleversés, en colère, voire écœurés par votre programme. Aussi, nous aimerions revenir, au travers de cette lettre, sur les éléments qui ont causé notre désarroi.

Tout d’abord, nous ne comprenons pas comment il est encore possible d’organiser une émission spéciale sur l’autisme sans inviter au moins une personne directement concernée sur votre plateau pour en parler, c’est à dire des personnes autistes. Car oui, nous sommes un certain nombre à être capables de nous exprimer verbalement, et donc à être capables de parler de notre situation, de la manière dont nous vivons notre autisme, des formes de stigmatisations dont nous souffrons en société, etc.

Contrairement à ce que le psychiatre a affirmé sur le plateau, l’autisme n’est pas une maladie. À ce titre, nous ne « souffrons » pas d’autisme, ni ne sommes « atteints » d’autisme. Nous sommes simplement autistes, ou si vous préférez, des personnes autistes. Notre différence ne résulte pas d’un agent pathogène ni d’une dégénérescence génétique. L’autisme est considéré comme un trouble neuro-développemental par le monde médical, même si nous sommes de nombreuses personnes concernées à préférer le terme « condition » ou « état » neuro-développemental différent de la norme. De ce fait, l’autisme n’est pas une chose qu’il faut combattre, ni contre laquelle il faut lutter, ni quelque chose à blâmer ou qu’il faut chercher à soigner. Il est inhérent aux personnes que nous sommes.

Un autiste, enfant ou adulte, n’est pas un fardeau, ni un animal sauvage qu’il faudrait à tout prix rééduquer, ni un singe savant. C’est avant tout un être humain. A ce titre, les autistes ressentent des émotions, des sentiments et même de l’empathie. Ils sont aussi capable d’exprimer de l’affection et de l’amour. Simplement, la manière d’exprimer nos émotions ou notre affection est rarement comprise, accueillie ou considérée comme telle, ce qui engendre un sentiment de souffrance et de solitude important chez beaucoup d’entre nous.

La méthode des 3i dont il a été question est une méthode dont l’efficacité n’a pas été prouvée et qui est désavouée par la Haute Autorité de Santé. Il est d’autant plus scandaleux de la mettre en avant que son inventrice promeut cette méthode en faisant croire aux parents qu’elle va « guérir » l’autisme de leur enfant .

Les droits fondamentaux des autistes en France ne sont pas respectés, en particulier le droit à l’éducation.

(...)

Enfin, nous tenons à attirer votre attention sur le fait que les autistes sont des personnes de tous les genres, de tous les âges, de toutes les couleurs de peau et de toutes les conditions de santé et de vie. Aussi, il aurait été appréciable qu’une partie de cette diversité soit effectivement représentée, pour sortir du cliché de l’autiste-enfant-garçon-blanc.

Vous comprenez sans doute mieux ce qui nous a mis mal à l’aise suite au visionnage de cette émission. En effet, ces différents éléments énumérés (et la liste n’est pas exhaustive), loins de servir notre cause, participent à entretenir des clichés qui nous sont délétères puisqu’ils alimentent une vision de l’autisme extrêmement stéréotypée, caricaturale, pathologisante, voire déshumanisante.

(...)