
Pollution des eaux et des terres, manque de consultation des populations, appauvrissement des ressources alimentaires, division des communautés indigènes : un nouveau rapport du CCFD et du Secours Catholique critique les activités de deux entreprises françaises, Perenco et Maurel et Prom, en Amazonie péruvienne. Il met en évidence les conséquences désastreuses de l’industrie pétrolière sur les peuples et l’environnement de la région. Les responsabilités des entreprises et de leurs actionnaires, dont la Macif, sont mises en avant, au côté de celle de l’État français accusé de privilégier la défense de ses intérêts économiques au détriment des droits humains et environnementaux.
C’est la face cachée de l’exploitation pétrolière. Celle qu’on préférerait ne pas voir lorsqu’on emplit son réservoir. En plus de participer à l’émission de gaz à effet de serre, donc aux changements climatiques, l’extraction de pétrole contribue directement à la destruction de régions entières, notamment en Amazonie. Et bouleverse les modes de vie des populations. Intitulé « Le baril ou la vie ? », un rapport publié lundi 6 septembre, par le CCFD-Terre solidaire et le Secours catholique, dresse un tableau accablant des conséquences de l’exploitation pétrolière menées par deux entreprises françaises, en Amazonie péruvienne, Perenco et Maurel et Prom (dont Basta ! vous parlait en décembre 2013).
Pollution des eaux et des sols, disparition progressive de la biodiversité : c’est d’abord les conséquences environnementales qui sont pointées du doigt dans ce rapport rédigé avec trois ONG péruviennes. Dans le nord du Pérou, la présence des entreprises françaises, Perenco depuis 2008, aux côtés de PétroVietnam, et Maurel et Prom depuis 2010, associée à Pacific Stratus Energy, a entraîné une destruction de la faune et de la flore. « Tout l’écosystème a été abîmé, détruit. Or, les communautés indigènes se nourrissent traditionnellement de ce qu’ils trouvent dans la forêt et le fleuve », raconte Annie Algalarrondo Alvear, du Secours catholique.
Une eau de plus en plus polluée ?
La question de l’eau est au centre des préoccupations des communautés. Sur une concession pétrolière, le bloc 116, Maurel et Prom aurait utilisé des produits toxiques au cours de l’exploration du sous-sol. L’entreprise prévoirait d’épandre « des déchets dangereux sur les terres des peuples Awajun ; une méthode de traitement pourtant controversée, indique le rapport, qui ne permettrait pas d’éliminer certains composants comme les métaux lourds ». (...)
Une lutte pour le respect de les droits autochtones
C’est l’équilibre même de ces communautés qui semble avoir été bouleversé par l’installation des deux entreprises françaises. Le rapport met ainsi en évidence les tensions et les divisions provoquées à l’intérieur des communautés, la négation de la présence de peuples en isolement volontaire, la sous-estimation des risques pour les communautés et leur territoires, et surtout, le manque de consultation de l’ensemble des populations concernées par les impacts de l’industrie pétrolière.
« Cette lutte des organisations indigènes est d’abord et avant tout une lutte pour le respect de leurs droits, avance Annie Algalarrondo Alvear. On peut consulter et concevoir un développement de ces territoires, mais grâce à un dialogue avec la population et en respectant ce territoire. Malheureusement, dans ce cas, le dialogue ne s’établit pas de façon naturelle. » Pourtant, les lois péruviennes prévoient depuis 2011 qu’une consultation soit systématiquement menée, pour débuter de nouveaux projets. La convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) le stipule également. Mais dans la pratique, ces dispositions ne sont pas appliquées au Pérou, où 80% de l’Amazonie a été concédée à l’industrie pétrolière ! L’État péruvien a tendance à affaiblir ses réglementations pour attirer toujours plus d’investissements étrangers (lire notre analyse). (...)
Les engagements sociaux et environnementaux des pétroliers sont eux-aussi mis à mal. Des actions philanthropiques sont belles et bien menées par les deux entreprises – qui ne manquent pas de les mettre en exergue dans leur communication. Il s’agit par exemple, pour Perenco, d’actions de « reboisement, d’aménagement de pépinières, de distribution de semences ainsi que des formations à des techniques “modernes” (d’après les mots de l’entreprise) en matière de pêche et d’agriculture », observent les ONG.
Des mesures de compensation qui n’empêchent pas la pollution
Maurel et Prom, quant à elle, construit des « infrastructures (électrification photovoltaïque, salles communautaires, rénovation d’infrastructures éducatives) » et « mènent des actions dans le domaine de l’éducation (formation d’enseignants, bourses d’études, fourniture de kits scolaires et d’uniformes) ». Pour un montant qui atteindrait, selon l’entreprise, 2,9 millions d’euros.
Des actions que le CCFD et le Secours catholique jugent insuffisantes. Elles « ne sauraient être confondues avec une véritable politique de responsabilité sociale et environnementale reposant sur l’obligation d’identifier, de prévenir et de réduire les impacts négatifs sur les droits humains et l’environnement de leurs activités ». Certaines de ces mesures de compensation bénéficieraient principalement aux communautés favorables au projet. C’est le cas du bateau hôpital mis en place par Perenco, qui, selon certains observateurs, offrirait des soins discriminatoires. L’initiative est aussi critiquée pour ne pas intégrer les autres dispositifs locaux de santé. (...)
Que répondent les entreprises ?
Face à l’ensemble de ces accusations, les entreprises ont été invitées à apporter des réponses écrites aux questions posées par les rédacteurs du rapport. Perenco a mis en avant un « climat social pacifique », « l’absence de tensions importantes » et « les excellentes relations » entretenues avec les communauté. L’entreprise s’est dite prête à rencontrer les organisations locales au Pérou. Contactée par Basta !, l’entreprise déclare avoir, avec fierté, contribué avec succès au développement du bloc 67, une autre concession. « Comme le CCFD-Terre Solidaire et le Secours Catholique-Caritas France, Perenco assume avec un sérieux extrême ses responsabilités en matière de droits humains et environnemental », écrit l’entreprise qui met en avant son respect « des plus hauts standards internationaux » et réfute avec force tout méfait [1]. (...)
Maurel et Prom a accepté de recevoir le CCFD et le Secours catholique, « s’est engagée à apporter des réponses détaillées aux préoccupations soulevées dans le rapport » et à mettre en contact les différents acteurs. L’entreprise se dédouane cependant sur l’un de ses partenaires, Pacific Stratius Energy, une entreprise canadienne qui gère les opérations sur le terrain. Ce serait cette entreprise qui devrait assumer la responsabilité d’éventuels manquements aux droits humains et environnementaux... et non pas la société française Maurel et Prom ! Sollicitée par Basta !, cette dernière a déclaré qu’elle ferait « des commentaires directement aux associations ». (...)
État français et actionnaires pointés du doigt
Avec ce rapport, le CCFD-Terre solidaire et le Secours catholique entendent aussi dénoncer l’inaction de l’État français. « L’État français doit avoir un regard sur les impacts éventuels de ses entreprises, quand elles agissent à l’étranger, rappelle Morgane Laurent. Ces entreprises doivent respecter le droit des populations autant que si elles intervenaient en France. »
L’ambassade de France vante les engagements sociaux et environnementaux de l’entreprise Perenco, indique l’étude, tout en suivant de près les performances économiques de « ses entreprises ». Mais quand les ONG interpellent l’ambassade à propos de Maurel et Prom, elle reprend l’argumentaire de l’entreprise (...)